Il fut un temps, aujourd’hui reculé, où Malick racontait des histoires. Revenir aux origines de son cinéma, avant la grande ellipse de sa carrière et son retour désormais un peu trop prolifique, permet de déterminer la naissance d’une esthétique et les origines d’une symbiose cinématographique.
Dès son deuxième film, Terrence Malick pose les jalons d’une poétique qui n’appartient qu’à lui. C’est d’abord le recours à la voix off, dont l’identité reste un temps mystérieuse, encore mal assurée par l’enfance et déjà un peu brisée par l’aridité de l’existence.
C’est ensuite, bien entendu, une place prépondérante accordée à la nature. Mais à la différence du panthéisme enthousiaste des terres virginales de La Ligne Rouge ou du Nouveau Monde, c’est à une terre travaillée par l’homme, à la fameuse sueur de son front biblique, que s’attache ici le jeune réalisateur. Si le film s’ouvre sur les hauts fourneaux de l’activité industrielle, bouche d’enfer devant laquelle a lieu le meurtre fondateur qui conduira le protagoniste à l’exil, c’est pour surligner le contrepoint avec les étendues fertiles du nouveau monde dans lequel la rédemption sera possible.
Les tableaux se multiplient, au son magique d’une mélodie devenue depuis l’incarnation même du 7ème art, le Carnaval des animaux de St Saëns : c’est l’infinie variation des ciels, des aubes aux crépuscules, l’herbe qui se courbe aux aléas d’un climat bienveillant, et la douce paix d’un lyrisme élégiaque. Mais Malick ne restitue pas pour autant l’Eden : omniprésente dans ces plans d’ensemble magnifiant l’étendue sans limite du grenier de l’Amérique, la demeure du maître rappelle le monde laborieux des hommes et la distinction des classes.
Le monde se meut, et s’emballe plus rapidement que la succession des saisons : c’est là le dérèglement d’où va sourdre la tragédie humaine. Les machines investissent le champ, les avions zèbrent le ciel, et si l’homme y trouve de quoi se réjouir (notamment grâce à la découverte du cinématographe), c’est aussi dans ce labeur et cette nécessité que naissent avidité et convoitise.
L’innocence d’un amour qui se cache aux bords de l’eau pure (thème récurrent chez Malick) ne pourra perdurer, et verra le feu de la haine faire son inéluctable retour, assaillir la terre et souiller les airs. La Nature meurtrie par la folie des hommes va ainsi prendre en charge la catharsis par une apocalypse dans laquelle Dieu, bien que muet, semble encore présent : les crickets qui ravagent la récolte et conduisent à l’autodafé attestent d’un châtiment bien supérieur aux humains.
Quant à l’eau, la dernière course qui en éclabousse la surface se fera sous les balles.
La parabole s’achève ainsi dans une certaine noirceur, celle d’un retour à la ville qu’on avait fuie vers des jours illusoirement meilleurs, ces fameux days of heaven. La roue tourne, et la nouvelle génération s’approprie le décor pour redéfinir une nouvelle liberté affranchie de la bienveillance de la nature, le longs d’une voie de chemin de fer, mais non moins lyrique, clin d’œil ému à la course finale des 400 coups.