Alors que Freud publiait volontiers les récits de ses thérapies pour expliquer la méthode psychanalytique, Pabst eut l’idée de porter à l’écran un cas, aidé par deux assistants du médecin à l’écriture. Le projet était rigoureusement identique : décrire un état, faire intervenir le questionnement du thérapeute et établir un diagnostic.


Le cinéma se prête évidemment très bien au projet (et on retrouvera le même processus dans La fosse aux serpents de Litvak en 1948) : le récit, scindé en deux parties inégales, montre d’abord les troubles ressentis par un bourgeois ressentant des pulsions meurtrières à l’égard de sa femme, présente ses rêves et fait ensuite intervenir un psychanalyste qui va opérer une relecture de la confusion précédente pour, d’une certaine manière, remettre dans le bon ordre les pièces éparses du puzzle. Pabst joue de tous les moyens mis à sa disposition : les gros plans isolent ainsi les accessoires et leur symboles (ici, le couteau, vecteur de l’obsession), mimant la conscience déréglée d’un personnage qui n’arrivent plus à réguler ses désirs. Le montage est évidemment largement exploité, particulièrement dans la séquence du rêve qui lui permet de développer très largement tout un imaginaire débridé. On est évidemment très vite tenté de faire des rapprochements avec l’esthétique surréaliste d’un Buñuel à ses débuts, dans Un chien andalou ou L’Âge d’or par ces collages désordonnés, ce jeu insolite sur les proportions et la matérialisation par des objets ou des motifs des coq à l’âne de l’inconscient et ses fantasmes. Mais la différence est néanmoins de taille, dans la mesure où une clé de décryptage est à prévoir par l’interprétation que donnera par après le thérapeute. Un risque, en un sens, d’appauvrir la force esthétique de cette séquence (et ce dont se gardaient bien Buñuel et Dali par l’absence de commentaire sur leur écriture) en lui substituant une grille de lecture mobilisant symbole phallique, angoisse de la castration, jalousie ou désir d’enfant. Si le film tend en effet vers cette résolution et l’établissement très didactique des vertus de la psychanalyse, rejoignant dans cette démonstration celle de La Sorcellerie à travers les âges sorti quelques années auparavant, l’exploration des « mystères d’une âme » garde tout de même sa part salvatrice d’opacité. Parce qu’elle montre des individus qui, bien qu’intégrés et parfaitement sains d’esprit, peuvent à tout moment devenir les esclaves de leurs passions, et parce que le discours clinique continue à faire bien pâle figure face aux délires graphiques des rêves, qui resteront bien plus longtemps à la mémoire du spectateur.

Créée

le 23 mars 2021

Critique lue 197 fois

8 j'aime

Sergent_Pepper

Écrit par

Critique lue 197 fois

8

D'autres avis sur Les Mystères d'une âme

Les Mystères d'une âme
lionelbonhouvrier
8

En quête de traumas oubliés

Martin Fellman, bourgeois de Vienne, mène une vie conventionnelle entre son laboratoire de chimiste et sa maisonnée dirigée par son épouse. Le meurtre au rasoir d'une voisine bouleverse son...

le 15 nov. 2019

5 j'aime

Les Mystères d'une âme
Jean-FrancoisS
8

Psychanalyse du surréalisme

Influencé par les écrits de Sigmund Freud sur les interprétations des rêves, "Les mystères d'une âme" est le premier film à mettre en avant la psychanalyse mentale, discipline médicale toute récente...

le 8 avr. 2016

2 j'aime

Les Mystères d'une âme
Alligator
5

Critique de Les Mystères d'une âme par Alligator

juin 2010: A l'époque, la psychanalyse relève encore du mystère. Cette science toute jeune n'est pas encore très bien connue, ni comprise par le commun des mortels. Notez qu'Hitchcock trouvera...

le 7 avr. 2013

1 j'aime

Du même critique

Lucy
Sergent_Pepper
1

Les arcanes du blockbuster, chapitre 12.

Cantine d’EuropaCorp, dans la file le long du buffet à volonté. Et donc, il prend sa bagnole, se venge et les descend tous. - D’accord, Luc. Je lance la production. On a de toute façon l’accord...

le 6 déc. 2014

774 j'aime

107

Once Upon a Time... in Hollywood
Sergent_Pepper
9

To leave and try in L.A.

Il y a là un savoureux paradoxe : le film le plus attendu de l’année, pierre angulaire de la production 2019 et climax du dernier Festival de Cannes, est un chant nostalgique d’une singulière...

le 14 août 2019

715 j'aime

55

Her
Sergent_Pepper
8

Vestiges de l’amour

La lumière qui baigne la majorité des plans de Her est rassurante. Les intérieurs sont clairs, les dégagements spacieux. Les écrans vastes et discrets, intégrés dans un mobilier pastel. Plus de...

le 30 mars 2014

617 j'aime

53