Aujourd’hui, partons pour un monde fantastique, un monde de légendes, de héros, de créatures, d’exploits et de trahisons. L’histoire des Nibelungen vient nous plonger dans les souvenirs de la mythologie germanique, et dans les souvenirs du cinéma lui-même.
On connaît Fritz Lang pour diverses œuvres, qu’il s’agisse de ses grands films muets réalisés en Allemagne, comme Le Docteur Mabuse ou Metropolis, ou ses films réalisés aux États-Unis, notamment des films sociaux et/ou noirs comme Furie, J’ai le droit de vivre, Espions sur la Tamise, Règlement de comptes, et bien d’autres encore. Aujourd’hui, c’est au Fritz Lang du cinéma muet que l’on s’intéresse, avec une autre de ses grandes oeuvres, Les Nibelungen. Grande, Les Nibelungen l’est déjà par la durée, s’étalant sur plus de 4h30, divisées en deux parties, la première s’intéressant à la naissance de la légende de Siegfried jusqu’à la mort de ce dernier (la première partie étant elle-même intitulée « La mort de Siegfried », cette phrase n’est pas supposée gâcher la surprise), et la seconde, « La revanche de Kriemhild », racontant la vengeance de la princesse veuve. Ainsi se dessine, dans les grandes lignes, l’immense épopée réalisée par Fritz Lang.
Car Les Nibelungen est en effet un immense film. Immense par la durée, comme exprimé précédemment, mais aussi par l’ampleur et l’importance dans l’histoire du cinéma. Aujourd’hui, le cinéma fantastique a un certain nombre de représentants. Et si beaucoup d’entre eux peuvent être des films parfois assez fauchés ou à la qualité discutable, certains sont devenus des références, au moins en termes de célébrité et d’impact dans l’imaginaire commun, comme Le Seigneur des Anneaux, Willow et Harry Potter. Généralement, ces films sont issus d’adaptations littéraires, permettant la représentation visuelle de choses que l’on a toujours imaginé nous-même auparavant. Les Nibelungen ne fait quasiment pas exception, se basant sur des contes et légendes ancestraux.
Cependant, des décennies séparent Les Nibelungen des films cités, et c’est une des raisons qui rend le film de Fritz Lang particulièrement impressionnant et marquant. En effet, si, en 1924, le cinéma est déjà un art qui a beaucoup évolué et qui est en plein essor, il reste encore un vaste terrain d’expérimentations, où plein de choses restent encore à faire et à découvrir. Et le cinéma fantastique est alors un genre encore relativement peu exploré par rapport à d’autres. Le spectateur d’aujourd’hui, déjà bien habitué aux canons du cinéma fantastique et à ses références, sera alors surpris de voir que tout est déjà présent dans Les Nibelungen, qu’il s’agisse des décors, des créatures, des personnages, de l’univers visuel global que de l’écriture du film. En d’autres termes, bien que propulsé loin dans le passé du septième art, le spectateur retrouve un univers familier, manifestation de l’aspect particulièrement fondateur des Nibelungen.
La beauté plastique du film, qui ne lésine jamais sur les moyens, comme à l’image de cet énorme dragon articulé, au cœur de l’une des plus célèbres scènes du métrage, contribue énormément à la puissance que ce dernier dégage. Mais il parvient également à briller dans l’écriture de ses personnages, acteurs d’un récit passionnant et épique, acteurs légendaires d’une tragédie destructrice et fondatrice. Dans Les Nibelungen, tout est question d’ambition, de quête de gloire et de fortune. Les combines et les trahisons sont multiples, et dans un monde en proie à l’avidité, les âmes pures sont vouées à l’anéantissement, comme en témoignera le malheureux Siegfried, puis Kriemhild, qui sombrera dans une haine vengeresse aux conséquences cataclysmiques. Si le spectateur crée des attaches avec certains et prend en grippe d’autres personnages, le film ne veut pas s’articuler autour d’une dualité prononcée, risquant de le faire glisser vers le manichéisme. Tous les personnages ont leurs motivations, leurs forces, leurs faiblesses, et, surtout, leurs torts. Point de héros ni de méchants, le destin étant le seul maître, à même de rééquilibrer les forces, jusqu’à mener à un dénouement extraordinaire.
Avec Les Nibelungen, le cinéma fantastique tient un de ses premiers grands représentants. Fritz Lang signe ici un de ses premiers chefs d’œuvre, deux ans après son Docteur Mabuse. Filmant magnifiquement les foules, ce dont il a fait sa spécialité, débordant sans cesse d’ambition, le tout dans des décors sublimes, le cinéaste allemand met en scène un film « kolossal ». Gottfried Huppertz, compositeur fétiche du cinéaste, termine de sublimer le tableau grâce à sa musique puissante, démultipliant encore le souffle épique que dégage le film. « Grandiose » est sûrement le mot qui définit le mieux cette immense fresque fantastique, dont la puissance demeure toujours aussi palpable. Un chef d’oeuvre.
Critique écrite pour A la rencontre du Septième Art