Derrière un personnage, il y a un acteur. Derrière un acteur, il y a des personnages. Donc derrière un personnage, il y a des personnages. Certains acteurs ont des rôles qui les marquent à vie, des rôles qui restent visibles dans les personnages qu’ils incarnent après. Un Jack Nicholson qui sourit, même gentiment, nous rappellera toujours Shining malgré les rôles de gentils qu’il a pu jouer (même si, personnellement, je n’en connais pas beaucoup). Le choix d’un acteur, s’il est connu, ne doit rien au hasard. Surtout quand on touche à des icônes comme Leonardo Di Caprio et Kate Winslet, ce que fait Sam Mendes dans Les Noces Rebelles, film sorti en 2008.
Ils ne vécurent pas heureux et eurent beaucoup d’enfants
Dans les années 50, Frank rencontre April. C’est le coup de foudre. Ce couple beau et jeune est comme tous les couples, il ne veut pas être comme tous les couples. Ils rêvent de voyage et notamment d’une virée en amoureux à Paris. Malheureusement s’installe la routine quand Frank prend un travail qu’il estime bien en-dessous de ces capacités et April qui se rêvait artiste devient une femme au foyer. Le rappel de la promesse du voyage parisien va finalement cristalliser les peurs et frustrations du couple le temps d’un été.
Tout d’abord, un avertissement : le film est absolument déconseillé aux jeunes couples. Les Noces Rebelles détruit totalement les illusions de l’amour et de la volonté d’être différent des autres. Il met en scène l’engrenage du conformisme, ces couples qui cèdent à la facilité en s’enlisant dans une routine qu’ils n’ont pas voulu mais qu’ils ont accepté tacitement. Une destruction méthodique des espoirs de la jeunesse.
L’intrigue est pourtant classique : cette destruction méthodique des espoirs d’un couple n’est que la continuité tristement logique d’une comédie romantique, où l’amour forgé dans l’adversité des premiers moments vient se percuter à la réalité. Un point de vue cynique mais néanmoins réaliste. Ce côté clinique de la mise en scène apporte une certaine froideur au film, qui devient une sorte d’autopsie ou plutôt de cas clinique parfait. Tout y est exacerbé mais aussi exact dans le fond.
Si Jack avait pris place sur la planche
Là n’est pas la vraie force du film. Le couple qu’on nous présente n’est pas n’importe qui. Il s’agit de Kate Winslet et Leonardo Di Caprio, couple mythique associé à Titanic, une des plus belles histoires d’amour de l’Amérique, toussa toussa… En les choisissant, Sam Mendes ne fait pas les choses au hasard : il choisit de mettre en scène deux acteurs emblématiques du glamour hollywoodien. Ce faisant, il ne questionne pas seulement le besoin de conformisme de notre société à travers les décisions lâches que nous prenons en nous persuadant de ne pas avoir le choix, il détruit le glamour hollywoodien et le miroir aux alouettes de l’amour éternel qu’essaye de nous vendre Hollywood et les Etats-Unis en général. Le réalisateur utilise avec intelligence une des spécificités du cinéma : c’est un art de l’incarnation, au sens biblique du terme (le seul en fait), quand le verbe devient corps. Cette idée d’incarnation existe aussi bien au théâtre qu’au cinéma mais sous des formes différentes. Au théâtre, ce sont les mots qui créent les personnages et un acteur s’infiltre ensuite pour leur donner une direction (à noter que la notion de remake est centrale au théâtre, finalement) alors qu’au cinéma, l’inverse peut arriver : un personnage, des mots peuvent avoir été créés pour un acteur. Certains acteurs deviennent ainsi eux-mêmes des personnages archétypaux, confinés aux rôles de méchants, d’ingénus, de jeunes premiers… Le spectateur au cinéma ne va pas seulement voir un personnage, il va voir un acteur.
En somme, un acteur dépasse souvent son personnage et son rôle peut trouver une résonance dans l’ensemble de sa carrière. Ici, ce ne sont plus April et Frank qui se détruisent devant nous mais Leonardo et Kate, qui renvoient plus loin à Rose et Jack, le couple mythique du Titanic. Couple d’autant plus mythique que leur amour est éternel, Jack ayant eu la galanterie de laisser sa place sur une PUTAIN de planche alors qu’il y avait de l’espace pour deux #ilyavaitlaplace. Jack et Rose sont purs, ils n’ont pas affronté le réel et les affres de la routine. Les Noce Rebelles peuvent se lire comme la suite de l’histoire de Rose et Jack si le bateau n’aurait pas sombré.
C’est un cruel rappel à la réalité qu’opère Sam Mendès dans ce film, sur trois plans : l’inscription de la désillusion amoureuse dans le récit du rêve américain, la médiocrité du glamour hollywoodien quand il se retrouve loin des projecteurs, la triste vérité de la banalité derrière les promesses d’amour éternel. Sans compter que Kate Winslet était la femme du réalisateur et qu’ils ont divorcé deux ans plus tard. Ne nous demandons pas pourquoi.