Un documentaire interpellant, dans le bon et le mauvais sens du terme. Interpellant car il expose clairement les incohérences d'une sphère médiatique dominée par les grandes entreprises en France (mais on pourrait appliquer ce constat pour d'autres pays "démocratiques"), à la fois tant par des soutiens financiers que par des personnalités et leurs amitiés problématiques. Mais interpellant aussi car, pour faire entendre son message, les réalisateurs jouent la carte "Michael Moore" de A à Z, et dieu sait si ce n'est pas un gage de référence dans le domaine. Par exemple, le documentaire est clairement marqué à gauche ; en soi, pas un problème, au contraire un documentaire à la différence d'un reportage se doit d'être subjectif, mais là où ça coince c'est quand les journalistes sur lesquels les réalisateurs crachent sont, majoritairement, des gens de droite. Aussi bien journalistes qu'intervenants populaires d'ailleurs (Alain Minc & Co), ce qui n'est pas le cas des interviewés dans le documentaire (pauvre intervenants trop peu vus à la télévision). En parallèle, par 3 fois les réalisateurs nous assènent que "les journalistes veulent juste sauver le capitalisme !", que dans le fond ils ne connaissent pas la classe ouvrière car ils n'en sont pas issus. Un mode de pensée gauchiste, à la Paul Nizan, ce qui fait à la fois sa force et sa faiblesse : on crache beaucoup sur Le Monde, Libé, France Inter, TF1 mais jamais ou presque sur le Nouvel Observateur ou Marianne. Pourquoi ?

La mise en scène se rapproche elle aussi fortement de celle de Michael Moore : séduire le spectateur par l'humour, principalement par des montages peu flatteurs (mais aussi fameusement étirés dans le temps parfois ; là où un Yann Barthès s'amuse avec les politiques sur l'échelle de quelques mois, Balbastre et Kergoat font des écarts de parfois 20 ans !) mais aussi par l'utilisation mal contextualisée de certains propos. Je pense, par exemple, à tous ces avis négatifs à la fin du film, tout au long du générique, concernant Les nouveaux chiens de garde... le livre de 1997, pas le film projeté. Qui ne reste pas jusqu'au bout peut croire qu'on parle du film et non du livre, et donc que si tout le monde crache sur le film c'est qu'il dit le vrai. Je trouve ce procédé très limite, encore plus dans un documentaire qui prétend dénoncer le manque d'objectivité des journalistes... Souligner les revirements d'idéologie, les retournements de veste et les redites de décennies en décennies n'est pas en soi une mauvaise idée, au contraire, mais la manière dont s'est fait me semble un peu trop outrancière, peu subtile, accrocheuse. Encore plus quand le film ne donne jamais la parole à ceux qu'il accuse (volonté des réalisateurs ou refus des concernés, rien dans le film ne le dit). Enfin, toujours comme Michael Moore, les réalisateurs ne retiennent que ce qui sert leurs propos : cracher sur Edwy Plenel par exemple, du temps qu'il était au Monde. Oui, pourquoi pas, dans le fond, ça peut se justifier, mais n'en laisser que l'image d'un Plenel corrompu, alors que ce dernier s'est justement fait virer pour s'être révolté contre la direction et a fondé, en réponse, Mediapart qui se veut un média indépendant vivant uniquement sur le net, je trouve ça dommage. L'objectivité, de ce que j'en ai compris, de ce qu'on m'en a appris en cours de journalisme, est de confronter les points de vue et d'en retirer le tronc commun, pour tendre à la vérité, sans laisser une influence extérieure interférer sur le travail d'analyse. Ce que reprochent Balbastre et Kergoat aux grands médias d'aujourd'hui. Ce qu'ils font eux-mêmes dans leur film.

Le film est donc à prendre avec des pincettes, et comme chez Michael Moore (encore et toujours) il faut savoir dégager l'information de la manipulation dans ce film. C'est pour cette raison que je mets, malgré mes réserves, la moyenne au film : si sa mise en scène peut poser quelques problèmes éthiques, il n'en demeure pas moins une mine d'informations authentiques et un solide travail d'archivage qui devraient être vu par le plus grand nombre, pas toujours au courant des coulisses de l'information. Si la forme appelle à la méfiance, le fond le fait également mais pas envers les mêmes personnes. Et c'est tant mieux.
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le 7 juin 2012

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