C’est assez déstabilisant de voir à quel point les hommes qui se travestissent en femmes dans le cinéma Français récent sont conventionnels. Ainsi, dans Une Nouvelle amie, Virginia n’aspirait qu’à faire du shopping et porter du vernis à ongles quand son amie, interprétée par Anaïs Demoustier, faisait sa petite révolution personnelle, prenant le pouvoir. Dans Les Nuits d’été, le constat est le même. Le film s’ouvre sur ce qui ressemble faussement à une confession psychanalytique de Michel transformé pour un temps en Mylène. Ce que ce notaire cherche dans la femme ? Être lisse, belle, douce, une femme d’intérieur, une bonne épouse bien bourgeoise et conciliante. Il s’émoustille de l’odeur des robes rangées dans un placard ou de la caresse d’un poudrier sur sa joue. C’est d’ailleurs dans une maison qui tombe en ruine et qui sent la poussière qu’il se transforme, car la société veut en faire un homme, qui plus est un notaire aux allures de Président. Sa femme, il l’aime, cette transformation, ce besoin d’être Mylène, il ne se l’explique pas. Les Épicéas, sa maison, deviennent la « Villa Mimi », soit une bulle où l’on échappe à la guerre d’Algérie qui gronde, et à la société qui bouge. Ici, toute les femmes sont libres, elles le crient, mais loin des regards, au cœur des Cabarets où les chansons vantent l’amour et le désir, l’envie d’être différent. Les scènes dans cette maison, les nuits d’été, se balancent entre longueurs et coups d’éclats (la « surprise » de Mylène), tout comme celles au Cabaret où fanfaronnent des êtres duels, complexes et où un monde clos et sexuel foisonne, vu en partie à travers les yeux d’un jeune soldat un peu déserteur renommé Chérubin et que Jean-Marie/Flavia (superbe Nicolas Bouchaud) prend sous son aile. C’est lui le mécène de tout ce beau monde dont le leit motiv serait un « on ne nait pas femme, on le devient » (leur article 9), mais l’inverse s’accomplit aussi. Quelle place donner à l’homme dans ce climat de guerre où l’on envoie la jeunesse à la mort et où des couturiers habillent le corps des femmes, le souligne, le féminise ?
La vraie révolution, c’est Hélène qui la mène, sous les traits de l’excellente et trop rare Jeanne Balibar. Les scènes d’intimité dans l’appartement du couple, plus que les scènes de joie collective, sous les plus belles. Hélène (et Jeanne Balibar donc) dépasse le maître des lieux en la personne de Guillaume de Tonquédec, très bien dans rôle au demeurant, mais un peu effacé ici. Si elle est une femme d’intérieur –tenant les comptes et la maison – Hélène assume son corps, l’embellie. Elle prend aussi position dans un discours qui fera scandale et est une des plus belles scènes du film. Dans ses mots, elle s’indigne de cette guerre. Son mari lui coupe la parole en éteignant le micro qui porte sa voix et lui balance « tu m’as fait honte pour la première fois ». Elle aurait dû rester la docile femme de son mari, l’aidant à accéder à un rôle de Président du Cercle. Voilà qu’elle dit non. Cette femme-là habille ses courbes et surtout tend à être l’égale de son mari, dans une scène où elle se plaît à parler de lui, à dire qu’elle peut parler de tout avec lui (à une époque où ça n’allait pas de soi). C’est elle véritablement qui doit devenir femme dans un monde en plein bouleversement : à la fois mère, épouse et aussi féministe peut-être. Il y a un torrent d’amour dans ce couple, d’ailleurs quand Hélène découvre la « double vie » de son mari, ce n’est pas de honte qu’elle parle, mais de douceur et de cette chose unique qu’elle a toujours vue en lui. Elle le redessine avec gourmandise dans la scène qui clôt le film. Un film étrange sur la femme, qui sent un peu la poussière par moment, s’éparpille beaucoup, souffre d’un gros problème de rythme. Il y a cependant un charme qui demeure, quelque chose dans les regards, dans les chansons, dans ces corps qui se mettent en scène, excentriques. Dans les scènes de groupe, on est chez Almodovar (filmant toutes les femmes dans Tout sur ma mère) sans la fantaisie poétique de l’Espagnol, mais Jeanne Balibar a aussi des allures de Fred dans le Laurence Anyways de Xavier Dolan. On a rarement filmé l’inverse : des femmes qui veulent être des hommes. Pourtant, dans les plus beaux films sur le travestissement, il y a les deux, l’homme et la femme contenus dans un même souffle. On a reproché à Ozon d’être misogyne, il a au contraire su créer deux femmes contraires, deux héroïnes. On repense aussi doucement, dans les scènes entre Balibar et Tonquédec, à Céline Sciamma filmant Laure devenant Michael (dans Tomboy) et recevant de sa nouvelle copine (qui la croit garçon) un des plus beaux compliments qui soient : « t’es pas comme les autres ».