La notte de Cabiria est un superbe morceau de bravoure de mise en scène. Fellini filme sa femme avec une si grande délicatesse. Acte d'amour.

La perle du film est bien cette Giuletta Massina qui habite ce petit personnage confondant de tendresse cachée, inavouée, ce profond désir d'amour, contrarié, trahi, molesté.
Cabiria est un fabuleux personnage, pas si évaporé que cela, totalement ancré dans sa réalité. Et pourtant, elle erre en parallèle, désorientée qu'elle est par ses erreurs affectives, ses fourvoiements amoureux. Toujours à la recherche secrète du grand amour, elle veut tellement y croire qu'elle s'y jette d'abord avec précaution pour s'y adonner sans retenue avec la générosité enjouée et communicative que les coups du passé ne parviennent pas à atténuer mais bien plutôt à exacerber.
La vie de Cabiria est un lourd marteau qui tape sans arrêt. Elle est un clou récalcitrant à rentrer dans le rang. Elle tient bon, malgré Giorgio, malgré Oscar (les derniers plans sont à ce sujet édifiants).
A son corps défendant, vivant dans un monde brutal, cruel, où l'on tue pour 50 000 lires, elle papillone, dans ses nuits, aveuglée par les lumières qui l'éblouissent, la star de cinéma, le magicien, l'amour, la madonna, l'espoir en avenir meilleur.

Fellini en profite, il filme ses nuits, comme on filme un voyage. Intime, ce périple n'en demeure pas moins une longue balade dans un univers interlope et exotique. En chef d'orchestre de cette magie, il tisse un itinéraire parfait, patient pour que sa victime consentante vienne peu à peu à s'adonner encore une fois à croire en l'amour.

Et ne sont-ils pas mignons ces deux-là? Elle de s'interroger comme font tous les amoureux sincères : pourquoi moi et pas les autres? Pourquoi m'aimes-tu moi? Qu'ai-je fait pour mériter tant d'amour? Est-ce que c'est vrai? Est-ce que tu m'aimes? Est-ce que je peux t'aimer? Est-ce que je peux m'abandonner à toi? Me donner à toi? Moi, mes biens, mon avenir, ma vie? On s'est tous posé ce genre de questions. Et Cabiria a tellement envie de répondre oui, que le spectateur a envie avec elle. Fellini et Massina parviennent à un tel degré de délicate et juste adéquation entre l'art du jeu et l'art de la mise en scène qu'on se laisse prendre aussi. Jusqu'à ce que Périer commence à porter des lunettes de soleil, à fuir le regard ravi de Cabiria.

J'ai cependant eu bien du mal à accepter ce personnage violent, injustement agressif de Cabiria. Sous son apparence frontalement peu sympathique, elle cache une peur primale, celle de ne pas être aimée. Difficile de paraitre aimable quand on ne s'aime pas soi même. Il faudra une absence de conscience, par l'hypnose, pour que se révèle la nature profonde de Cabiria, celle d'une petite fille qui rêvait d'être une princesse, de changer de vie comme elle le demande à la madonne.

C'est peut-être là que réside le point fort du film. Fellini parvient à nous faire comprendre, entendre, appréhender, je ne sais quel mot convient le mieux pour dire entrer dans l'être d'un personnage, le comprendre comme si l'on partageait son sort, ses sentiments et ses peurs. Le comprendre assez pour lui pardonner ses sautes d'humeur, son caractère insupportable. Le spectateur devient progressivement cette Wanda, l'amie de Cabiria, qui en prend plein la tête au début du film quand elle vient proposer ses soins à Cabiria. Elle sait déjà, elle, que Cabiria explose mais n'est pas ce qu'elle parait être.

Et il m'a fallu un long moment, trop long pour que j'adore ce film tout de suite, un long moment pour comprendre et aimer Cabiria, un long moment pour accepter ce film, pour le comprendre.
Comprendre, accepter, deux verbes qui reviennent souvent dans cette critique parce que je pense que ce sont les maîtres mots, les références absolues à ce que ce film peut nous apprendre. Comme une leçon de vie, d'humanité même.
Alligator
9
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le 5 janv. 2013

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