Dans sa série des "comédies & proverbes", les Nuits de Pleine Lune s'ouvre avec :
"Qui a deux femmes perd son âme. Qui a deux maisons perd sa raison."
Allez, c'est parti. Application, mise en situation !
Pour commencer, Rohmer intervertit "le sexe du proverbe" puisqu'il choisit non pas un homme mais une femme. S'il est une chose qui, dans ces années 80 et de Movida extrafrontalière, ne passe pas inaperçu, c'est bien cette inversion sexuelle. C'est pour moi la démonstration de la volonté de Rohmer, de son progressisme, de son goût pour les enjeux sociaux et en faveur de la transformation des moeurs. Sur l'histoire aussi, je trouve que cette inversion sexuelle a un goût bien spécifique qu'elle n'aurait sans doute pas eu avec un homme-vedette. Cela met les hommes que Louise côtoie en position d'attentes et de frustration. Une position qu'un coq, s'il en est un dans ce film, ne supporterait pas : celui du "pas dominé mais presque". C'est dans ce "presque" que se situe le chemin de Louise. Louise, la coquette. La coquette urbaine.
S'il est une autre chose qui ne passe pas inaperçue, c'est ce décor urbain qui densifie les hommes et les relations. C'est l'histoire d'un petit monde dont on s'étonne encore qu'on ne puisse pas totalement s'y cacher.
Au travers des frustrations que Louise génère de toutes parts, avec ces hommes qui profitent, en même temps qu'ils sont tyrannisés, de sa liberté sexuelle,
Rohmer montre - au possible - que l'amour a son mouvement propre et qu'il se trouve toujours à-côté. Le plus souvent, cet à-côté, c'est la liberté de l'autre et, dans cette liberté, que la liberté de soi croise celle de l'autre, dans un mouvement synchrone, un mouvement de planètes sociales et culturelles.
Rohmer pose en premier lieu la question de la synchronicité et de la permanence de l'amour. Il oppose ainsi deux mondes contenus en Louise : être amoureux ou être en amour. Autrement dit - et ce sera là le calvaire dialectique de Louise - picorer les sexes ou vivre en couple ? Est-il mieux d'aller d'homme en homme au risque de se sentir vaniteuse ou est-il mieux de vivre les diktats de la vie en communauté et en partage ? L'envie spontanée ou l'accord mutuel et le partage ?
Nous sommes ainsi loin de la thématique désenchantée du "Beau Mariage" qui prévoyait l'amour comme une formalité pour la réussite sociale.
Dans ce film, il y a donc selon le proverbe - ou plutôt un pré-verbe - une dualité qui se destine à ce que Louise perd son âme et sa raison. En un sens, le film reste dans un immobilisme, dans une gesticulation avec une Louise plus perdue et évitante que folle. Elle ne prend pas malheureusement conscience de l'inanité de ce questionnement qui est de savoir ce qui est mieux ou moins bien, ce questionnement qui hiérarchise. Oui, je trouve Louise un peu sotte pour le coup. Est-ce alors une sottise voulue par le proverbe ? Je ne pense guère... et l'on est pas tout à fait au point avec cette héroïne ballottée et sans dialectique.
Un film pas assez fin à mon goût, un peu trop urbain pour permettre une pleine liberté dans la conduite de son proverbe intentionnel. L'évitement final manque cruellement de justice pour cette héroïne non malléable. Un peu trop... libre paradoxalement pour continuer dans l'amour... Au lieu de cette perspective, on se retrouve comme deux ronds de flanc à écouter "Amoureux Solitaire" d'Elli et Jacno.
Sur la forme aussi, j'ai trouvé que cela manquait parfois - non pas de justice, bien au contraire - mais de justesses. Cela ne prive en rien le mérite que ce film a eu au travers des cinq nominations aux Césars.