Une nuit comme les autres en Iran. Dans les ombres mordent les corps tarifés offerts. Une nuit propice à la solitude, à l'insécurité, à l'humiliation. Si les minarets dorés s'illuminent, ils ne peuvent chasser les ténèbres d'un pays de fondamentalisme religieux.
La mort rôde la nuit dans les ténèbres de la ville sainte. Elle frappe les femmes corrompues et corruptrices dans une première partie qui emprunte la forme classique du thriller qui ne tarde pas à dévoiler le visage de son serial killer. Un homme tranquille et rangé, en apparence. Mais un homme aussi rongé par la folie de sa religion et qui n'a pas pu mourir en martyr.
La chasse sera donc menée au nom d'une purification hypocrite, d'une oeuvre publique de nettoyage au service de Dieu au cours de laquelle on ne cesse de coller aux basques de l'assassin, jusque dans les excès de sa violence crue et terrassante, alors que la caméra traque jusqu'à la dernière étincelle d'une vie qui s'en va.
Les Nuits de Mashhad aurait pu s'arrêter là, dans cette traque crépusculaire et ténébreuse, dans les pulsions de mort de son meurtrier en série que la caméra imprime sur la pellicule sans détourner son objectif.
Mais Ali Abbasi choisit de doubler la tension irriguant son oeuvre d'un portrait d'une société sous le joug religieux, où la moitié de la population est renvoyée à sa triste condition.
Celle d'une femme comme les autres à Mashhad, renvoyée à sa propre solitude, à l'insécurité, à l'humiliation. Et si les minarets dorés s'illuminent, ils demeurent aveugles à la souffrance endurée, tout comme cette société qui se fout de ce qui peut lui arriver dans les ténèbres qui baignent ses nuits et ses rues.
Et sous la caméra d'Abbasi, le constat se fait réquisitoire. Un constat dressée par une journaliste en lutte pour faire son métier, pour imposer son émancipation. Dans ses yeux se dessine tout l'archaïsme d'une société iranienne, ses impasses religieuses, ses préceptes comme autant de faux-semblants, ses forces de l'ordre qui n'en ont que le nom.
Une société qui se félicite du nettoyage de celui que l'on appelle le Holy Spider, qui en fait son nouveau héros, le gardien de sa pureté et de sa morale. Car c'est bel et bien l'assassin qui reprend finalement la main sur le récit et la réalité décrite par Abbasi. Et toute cette société avec lui.
Et le plus effrayant, c'est que Ali Abbasi nous confronte à la véracité de la situation, des horreurs qu'il a mises en image, de ce fondamentalisme religieux qui fait froid dans le dos et nous éprouve.
Car on réalise que Les Nuits de Mashhad ne pourront que donner naissance à d'autres Holy Spider. Parce que le mal a été validé par la morale, sanctifié par l'excitation des fidèles et la religion qui gouverne leur existence. Parce que cette journaliste courageuse, malgré elle, a donné un visage humain à un monstre considéré comme un exemple à suivre.
Tout comme Abbasi, finalement, au terme d'une exploration sans retour de toute la noirceur d'un monde que n'aurait pas reniée William Friedkin.
Behind_the_Mask, qua Ta volonté soit faite.