C'est avec quelques années d'avance sur la vague des films catastrophe qu'Alfred Hitchcock avait déniché dans une nouvelle peu connue de la romancière Daphné du Maurier, l'idée de transformer des oiseaux en agresseurs. Le sujet peut aussi préfigurer la vague de films ayant des animaux tueurs pour vedettes, tel que l'a inauguré Spielberg en 1975 avec les Dents de la mer et son grand requin blanc.
Hitchcock racontait en 1962 à François Truffaut qu'il n'aurait pas tourné ce film s'il s'était agi de vautours ou d'oiseaux de proie ; ce qui m'a plu, disait-il, est qu'il s'agissait d'oiseaux ordinaires qui vivent près de nous. Ainsi, le Maître illustre une hypothèse terrifiante : que se passerait-il si un jour, tous les oiseaux, sans distinction de races, se regroupaient pour attaquer l'homme qui les a si souvent malmenés ou enfermés dans des cages ? il joue sur cette idée toute simple qui donne au film toute sa puissance. Du point de vue de la construction, le film s'apparente à une tragédie classique, toute l'action se passe en 2 jours à Bodega Bay, une aimable petite station balnéaire californienne, la violence des oiseaux allant crescendo.
Hitchcock fait honneur à son surnom de Maître du suspense, car c'est un grand moment de suspense, où il fait mine d'entraîner le spectateur vers une histoire d'amour ordinaire, pour mieux distiller l'angoisse, car il procède par petites touches ; une première mouette qui frôle la joue de l'héroine, des oiseaux qui se rassemblent progressivement sur une échelle d'enfants près d'une école, puis c'est le raid meurtrier de la station service. Cette scène et celle de l'attaque des enfants de l'école sont d'une maîtrise parfaite, véritables exploits de mise en scène qui se sont heurtées à des difficultés techniques énormes. Hitchcock qui ose s'en prendre aux sacro-saints enfants de tout film américain, oppose avec génie l'inconscience des habitants à une angoisse qui envahit peu à peu le spectateur, ce sont des scènes marquantes qui sont comparables à celle du champ de maïs de la Mort aux trousses ou à celle de la douche de Psychose. J'y ajouterais aussi la scène de la mansarde où Tippi Hedren se fait attaquer par plusieurs mouettes en furie, qui est fabuleuse par son montage et sa tension.
Comme toujours chez Hitchcock, l'intrigue dramatique est le moteur de la psychologie des personnages, le réalisateur décrivant tout à la fois ces oiseaux de plus en plus menaçants, et les liens qui relient entre eux les différents protagonistes, des liens parfois ambigus et parfois troubles. Et le pire, c'est que c'est une révolte aveugle, incompréhensible, Hitchcock se garde bien d'expliquer l'attitude des volatiles.
Pour que ces volatiles sèment la terreur chez les humains, Hitchcock en a bavé et a dû avec son équipe, déployer des trésors d'ingéniosité ; trucages et dressage sont les 2 secrets de la réussite de ce long crescendo dramatique. Près de 700 oiseaux, mouettes, corbeaux, étourneaux, pinsons ont participé à ce tournage ; la grande majorité effectue une figuration lointaine, quelques dizaines font de la figuration rapprochée et plus intelligente comme d'effectuer un vol menaçant, et 4 ou 5 sont de vraies vedettes sous le contrôle du dresseur spécialisé à Hollywood, Ray Berwick. Hitchcock a aussi eu recours à des oiseaux mécaniques et des oiseaux empaillés. N'empêche que techniquement, ce fut un réel défi et que les plateaux devaient être protégés par un voile transparent pour éviter que les petits oiseaux se perdent dans les plafonds ou foncent sur les projecteurs. Le plan final très complexe, et très inquiétant, a nécessité 16 surimpressions sur la pellicule.
En conclusion, ce film qui fait partie de mes préférés du Maître, est très certainement l'un de ses 3 ou 4 plus connus, son unique incursion dans le domaine du pur fantastique, il livre l'un de ses films les plus intenses et les plus angoissants, avec peu d'effets tape à l'oeil, seulement de simples oiseaux dressés, en même temps qu'il présentait sa nouvelle égérie, l'actrice Tippi Hedren destinée à prendre la place vacante de Grace Kelly et dont c'était le premier film, de même que Rod Taylor y trouve son rôle le plus fameux.