Réhabilitation totale, je me souviens encore du premier visionnage de ce film au lycée en cours d'option cinéma, ça doit bien remonter à 14 ans, bien entendu en tant que cherbourgeois (Lycée Millet Rpz) on ne pouvait passer à côté de cette œuvre, qui plus est récompensée par la Palme d'Or à Cannes en 1964.
Et sincèrement ce fut pénible, ce genre d'histoire d'amour ne me touchais sans doute pas à l'époque, de plus voir des personnages chanter leurs dialogues laissait place à un certain ridicule, d'ailleurs à peine sorti de la séance impossible de ne pas subir cet effet rétroactif de se parler en fredonnant les mélodies du film, et croyez moi ça use.
Ces Parapluies de Cherbourg m'ont donc toujours laissé un goût amer, une sorte d'incompréhension stylistique, un cinéma qui n'était pas fait pour moi. Du moins jusqu'à ce second visionnage, autant dire que je l'ai totalement redécouvert.
Dès le générique d'introduction le jeu s'installe avec ce ballet de parapluies colorés, l'invitation à la fantaisie de la mise en scène qui ne nous quittera plus, ou presque. Guy bosse dans un garage, Geneviève tient une petite boutique avec sa mère, ils s'aiment, ils sont jeunes, ils sont beaux, ils ont l'avenir devant eux, mais de l'autre côté des quais la guerre d'Algérie connait ses premières heures et vont fragiliser le ciment frais de cette relation idyllique et aventureuse. Guy est réformé et doit partir en laissant sa belle en proie au doute face à l'insistance de sa mère pour lui trouver un meilleur parti, Geneviève finie par céder à l'évidence de ce temps qui ne peut être rattrapé, elle épouse Cassard, un bijoutier, et quitte Cherbourg.
Bien sûr l'élément principal et la pierre angulaire de cette œuvre est son rythme et sa musicalité, Jacques Demy fait appel à Michel Legrand en s'inspirant directement des comédies musicales hollywoodiennes telles que Chantons sous la pluie, les tons sont multiples, du jazzy à l'orchestral pour souligner et sublimer les séquences en leur donnant panache et émotion. Autant l'aspect peut résolument choquer au début du film mais l'accoutumance se fait assez vite, la barrière de la demi heure passée l'enchainement garde une excellente fluidité et n'entache en rien la narration, bien au contraire. L'histoire en elle même est d'ailleurs plutôt banale au premier abord, un couple déchiré par la guerre s'en suivant l'ambiguïté des sentiments amoureux, l'attente, l'incertitude, le déchirement puis la substitution et les remords reminiscents, cependant la beauté se fait dans l'instantané par la justesse du parti pris artistique. C'est le véritable tour de force du film, rendre une romance classique en tout point singulière.
Mais les Parapluies de Cherbourg ne s'arrêtent pas qu'aux mélodies et au rythme, car le cadre et l'esthétisme demeurent hautement étudiés pour rendre un contenu formel hors pair en adéquation avec le fond tragique du couple et des éléments qui les entourent, les mouvements et axes de caméras sont chorégraphiés au millimètre. Sans compter une interprétation ne flirtant à aucun moment dans l'exagération théâtrale alors que tout semble l'indiquer, Catherine Deneuve du haut de ses 20 ans en est la révélation, un véritable petit bonbon doué d'autant de fragilité que de gaité, elle est lumineuse et très touchante. L'ennui et la lassitude ne se font jamais ressentir, l'émotion prend à la gorge jusqu'à l'ultime chapitre du retour de Guy et ce final extrêmement émouvant, une belle leçon de vie, de sa réalité, de son fatalisme mais aussi de sa seconde chance, la neige se recouvrant sur Cherbourg laisse place à la plénitude et l'absolution des regrets.
Oui ce visionnage fut une excellente petite claque dans ma face de jeune-vieux, l'eau coule sous les ponts et le cinéma garde bien des secrets qu'il faut savoir redécouvrir et apprécier comme il se doit, se laisser aller aux douces et entrainantes notes des Parapluies, c'est beau ...
PS : Par contre Cherbourg c'est moche en vrai (et ça a bien changé évidemment).