Un drame humain façonné par Jean Cocteau

"Les parents terribles" (1948), c'est l'adaptation au cinéma de la pièce de théâtre à succès de 1938. Et Jean Cocteau de se faire réalisateur, scénariste et dialoguiste. Quoi de bien nouveau pour cet artiste touche-à-tout ? Rien de terrible me répondriez vous. De plus, il s'agit de théâtre filmé. Eh oui, que voulez-vous ? Ca palabre beaucoup, un peu trop à mon goût, mais la mise en scène est là, carrée, stylisée, avec des plans larges, serrés... des travellings (arrières...) réussis pour une mise en boîte intelligente pour l'époque mais un peu trop classique aujourd'hui à mon goût. Jean Cocteau avait l'art de connaître son époque avec sûreté pour projeter avec tact et fermeté ses idées transgressives sur la société traditionnelle. Joli point, maître Cocteau. Passons au scénario : un jeune homme de 22 ans, vivant sous le même toit que ses parents et sa tante, découvre l'amour dans les bras d'une jeune femme qui n'est autre que la maîtresse de son père... . Diable !, me diriez-vous. Cocteau a l'art de nous embrigader dans une famille modèle pour ensuite la faire éclater au grand jour. Un très bel antagonisme de la part de l'homme artiste. Cocteau écrit son film pour bien montrer la relation qui existe entre la mère et son fils. Une mère possessive donc qui veut à tout prix empêcher ce mariage (pour garder son fils à côté d'elle), tout comme le mari qui, ainsi, garderait son amante. Une mécanique bien huilée et qui permet de rentrer de plein fouet dans les complexes œdipiens (rapport mère-fils, le fils qui idolâtre sa mère) et familiaux (le mari trompeur, la femme esclave). Jean Cocteau ou l'art de nous transporter dans des tournants infernaux et incestueux. On assiste ici au point de départ de la Nouvelle Vague avec ces idées contestataires (même si elle ne démarrera qu'une décennie plus tard), et cette façon de traiter les rapports entre les membres de la famille, ça me fait penser à un réalisateur particulier, Louis Malle (je n'ai vu que "La petite" mais un de ses films à scandale "Le souffle au cœur" traite du même sujet). Dans le rôle du fils, un Jean Marais charmeur, tombeur de ces dames (de son amoureuse surtout), à croquer. Du très bon boulot, et c'est tout ce qu'on peut noter côté casting. Josette Day, Marcel André (renouvelant ainsi leurs mandats de participation après "La belle et la bête"), Yvonne de Bray (revue deux ans plus tard aux côtés de Gaby Morlay : "Agnés de rien") et Gabrielle Dorziat ("La chaleur du sein" de Jean Boyer, "Premier rendez-vous" avec Darrieux, "Un singe en hiver" dans lequel se cotôient deux monstres sacrés (Belmondo-Gabin), ...) font figure d'harmoniser un peu le tout autour de Jean Marais. Heureusement que Cocteau s'y connaît en matière de cinéma, sinon on aurait pu avoir pire. Et encore, c'est soutenable. Ajoutons là-dessus la musique de Georges Auric (toujours présent lui-aussi) et on peut se demander pourquoi il prend la peine de nous marteler ces deux ou trois notes quelques peu rédhibitoires. Est-ce la peine ? Il s'agit ici d'une pièce de théâtre filmée, pour moi, la musique est annexe. Or, Cocteau semble de l'avis contraire. But why ? Quel est l'enjeu ? Celui de surprendre le spectateur (comme moi), ou de faire acte de présence au générique ET dans le film ? La question reste en suspens. Pour conclure, Jean Cocteau ré-embauche la même troupe que pour son film précédent (Marais, Day, André, Bérard, Auric) et nargue la société contemporaine pour mieux parler de troubles psychologiques révélateurs (l'amour, la drogue et la mort). Chapeau bas, chapeau haut et plus de chapeau !!! Le seul défaut du film ? D'avoir été réalisé en 1948. Il n'y a plus d'effet théâtral mais la forme était osée. "Les parents terribles" est un drame humain façonné par un maître de genre qui précipite son vaudeville dans une véritable et terrible tragédie grecque. Spectateurs avertis, regardons pour l'analyse coctanienne. PS : après René Clément pour "La belle et la bête", c'est au tour de Claude Pinoteau (futur-réalisateur de "La gifle", "La boum", "La 7ème cible"...) de se faire assistant-réalisateur ! Ce Jean Cocteau est un véritable dénicheur de talent. Terriblement appréciable !!

brunodinah
4
Écrit par

Créée

le 10 mai 2019

Critique lue 345 fois

brunodinah

Écrit par

Critique lue 345 fois

D'autres avis sur Les Parents terribles

Les Parents terribles
Limguela_Raume
8

Les Saveurs terribles

Qu'est-ce que le cinéma ?#6 Faire un gros plan de Sophie quand son fils tombe dans les bras de sa Madeleine chérie. Monter, découper, choisir. Il y en a encore qui utilise l’adjectif théâtral comme...

le 27 mai 2019

1 j'aime

Les Parents terribles
Boubakar
6

Implosion de la cellule familiale.

Ce film raconte comment une famille, dit une roulotte (un garçon, une fille, leur tante et les parents, va exploser après que le jeune homme présente son amie à ses parents... Jean Cocteau reprend...

le 14 oct. 2017

1 j'aime

Les Parents terribles
Maqroll
5

Critique de Les Parents terribles par Maqroll

Adaptation par l’auteur lui-même de sa pièce de théâtre, ce film n’échappe pas au défaut majeur du genre, à savoir un excès de verbe au détriment des images. L’interprétation est correcte en dépit de...

le 14 juil. 2013

1 j'aime

1

Du même critique

La Belle et le Clochard
brunodinah
8

Pour le 7e art, W. Disney ancre avec brio une nuit légendaire entre deux chiens. Mythique. Rêvons...

En sortant de mon visionnage, j’ai eu envie de crier : « Waouh ! ». En effet, il s’agit bien d’un coup de cœur. Ou quand le septième art déballe ses effets et nous emballe. J’ai l’impression de...

le 22 avr. 2022

6 j'aime

3

Predator
brunodinah
8

Chef d'oeuvre du fantastique de John McTiernan avec Schwarzy : à voir de toute urgence !

Véritable chef d'oeuvre du fantastique ! Seulement le deuxième long-métrage en 1987 avant Piège de Cristal. Et quel talent de la part de John McTiernan (explosions, fusillades...) ! Un scénario...

le 22 nov. 2018

6 j'aime

3

La Mort aux trousses
brunodinah
8

Classique hitchcockien. Thriller obsessionnel, suspense troublant. Espion, 'la mort nous va si bien'

Il m’est aujourd’hui difficile de poser et de peser mes mots sur « La Mort aux trousses ». Je l’ai découvert lorsque j’étais adolescent, et c’est vrai, les films que l’on découvre tôt sont...

le 27 nov. 2021

5 j'aime

3