Critique publiée pour la revue NEZ, partenaire de la sortie du film : https://www.nez-larevue.fr/magazine/actualites/les-parfums-gregory-magne/
Parce qu’il est difficile à mettre en scène, le monde des odeurs est rarement présent au cinéma. Les passionnés de parfums se contentent de plans de salle de bains et de coiffeuses où trônent quelques flacons... Parfois, bien qu’on puisse les compter sur les doigts d’une main, un des personnages principaux est parfumeur comme dans Le Sauvage (Jean-Paul Rappeneau, 1975), Prête-moi ta main (Éric Lartigau, 2006) ou encore l’adaptation du livre Le Parfum de Patrick Süskind (Tom Tykwer, 2006), pour un résultat souvent loin de la réalité du métier. Il y avait donc tout un univers à défricher pour Grégory Magne, le réalisateur du film Les Parfums, dont l’héroïne Anne Walberg, interprétée par Emmanuelle Devos, exerce le métier de parfumeur.
Le film commence lorsqu’elle rencontre Guillaume, le chauffeur qui la fait voyager pour son travail. Très vite, il comprend que la créatrice est une star dont les succès sont déjà lointains. Longtemps prisée par toutes les marques de luxe, elle a été brutalement mise à l’écart des projets suite à une longue crise d’anosmie. C’est un point de départ intéressant puisqu’il permet au film de montrer d’autres réalités du monde de la création de parfum. On ne se concentre pas vraiment sur la parfumerie fine, la créatrice étant confrontée au parfumage de grottes, d’usines ou de sacs à main. Et si tout n’est pas forcément réaliste, le film montre bien que beaucoup d’éléments de notre quotidien sont parfumés. Ces différentes missions nous écartent par ailleurs de l’ouest parisien, où siègent toutes les grosses sociétés de créations, pour sillonner la France.
Car Les Parfums prend davantage la forme d’un road movie d’apprentissage, dans le sillon de Miss Daisy et son chauffeur (Bruce Beresford, 1989) ou du plus récent Green Book (Peter Farelly, 2018), que celle d’une comédie dépeignant le milieu du luxe à l’image du Diable s’habille en Prada (David Frankel, 2006). Là encore, il s’agit pour les protagonistes d’apprendre l’un de l’autre pour devenir meilleur. Si la rédemption d’Anne Walberg peut se deviner à l’avance et ne révolutionne pas le genre, le parcours de Guillaume, le chauffeur qui l’accompagne tout au long de l’histoire, est loin d’être inintéressant. Présenté comme vivant dans la précarité, enchaînant de petits contrats instables pour essayer de payer un logement digne d’assurer la garde partagée de sa fille, il va reprendre le dessus notamment grâce à la découverte de son odorat. Inconscient de la richesse d’un sens auquel nul ne prête attention, il va petit à petit gagner en confiance en faisant la rencontre de son propre nez, qu’Anne Walberg l’invite à davantage solliciter.
Étonnamment, le personnage joué par Emmanuelle Devos n’est donc pas le seul à exprimer des idées intéressantes concernant l’odorat. Radical dans ses problèmes de communication et de savoir-vivre, le personnage est plutôt vecteur de gags que de véracité et le film n’épargne pas quelques clichés sur les « gens qui sentent ». Comme souvent lorsque la fiction présente un personnage réceptif aux odeurs, Anne Walberg est montrée comme une sorte de « super-héroïne » du nez, déconnectée de la réalité et hyper-protectrice de son odorat.
La mise en scène de l’olfaction alterne entre quelques petites scènes bien senties et quelques moments un peu plus forcés. Soucieux de montrer un parfumeur travailler, le réalisateur équipe par exemple Anne Walberg d’une petite mallette lui faisant office d’orgue à parfum portatif. La rencontre entre le road movie et le laboratoire de création aboutit ainsi à des scènes d’olfaction peu habituelles dans les chambres d’hôtels de la créatrice, alors qu’en réalité, un parfumeur n’a généralement pas besoin de ses matières premières avec lui lorsqu’il formule.
Néanmoins, Grégory Magne capte très bien la frénésie qui peut atteindre ceux qui ne peuvent s’empêcher de tout sentir : renifler tous les gels douches du rayon d’un supermarché, s’attarder sur un drap de lit parfumé par un assouplissant étranger, perdre le fil d’une conversation parce que le sillage d’une personne nous a interpellé. Dans certaines scènes où Anne Walberg essaye de capturer une odeur, l’actrice touche, frotte, tente de percevoir toutes les sensations de l’objet qu’elle essaye de traduire en odeur. C’est plutôt un bel artifice de mise en scène qui cherche à introduire de la sensorialité, du palpable à l’odeur.
Certaines scènes sont enrichies d’énumération d’odeurs qu’elle perçoit, représentant plutôt bien la richesse olfactive de son environnement. Le personnage de Guillaume, en charge de la prise de note de tous ces adjectifs odorants dont il n’aurait pas soupçonné l’emploi, permet au public de se raccrocher sans peine à ce défilé d’adjectifs. Certains champs / contrechamps opposant les deux compagnons d’olfaction à un objet odorant improbable ne sont pas dénués d’humour et participent habilement à la mise en scène de l’odorat.
Bien que sans grande surprise dans sa construction narrative, le film constitue une œuvre grand public qui donne envie de sentir et de le faire de la bonne façon : c’est-à-dire en faisant confiance à son nez, en étant curieux et en partageant avec ses proches les sensations que nous procurent les odeurs qui nous entourent. Sur ce point, Les Parfums semble faire figure de pionnier, et contribue à transmettre l’idée que l’odorat n’est pas un don réservé à une poignée de personnes, mais bien est un sens à cultiver chez chacun de nous.