Anne Dessuant, du magazine Télérama, souligne le sens nihiliste de ce film assez fou. Il est vrai que Marie 1 et Marie 2 ne cessent de se demander si « elles existent vraiment ». Mais on peut, à mon avis, y voir aussi un manifeste féministe en avance sur son temps et d’une grande vitalité (vitalité figurée par l’appétit vorace des deux héroïnes ainsi que la frénésie créative dévorant littéralement le film de l’intérieur : de la décoration parfois foisonnante des lieux à un montage qui joue sur le rythme, les couleurs ou les motifs, en particulier dans des intermèdes aussi originaux qu’inattendus).
Car Véra Chytilova convoque une symbolique qui ne souffre, selon moi, d’aucune équivoque : épis de maïs, saucisses, œufs durs et autres objets phalliques sont soigneusement sectionnés ou engloutis en très gros plans. Les Marie s’amusent également des images de magazine montrant l’homme dans toute sa puissance virile. Quant au fameux fruit défendu, la pomme, ces deux Eve dépravées s’en nourrissent goulument tout au long du film. Et sans se faire prier.
Ainsi, le chaos organisé par la cinéaste est-il peut-être moins l’anéantissement – l’engloutissement ? – d’un monde (une Tchécoslovaquie tout juste déstalinisée et en voie de libéralisation) qu’une invitation, certes radicale (par le feu notamment, comme dans une des scènes), à s’émanciper d’une domination masculine clairement identifiée – et on pense à un autre symbole présent dans le film : des papillons, cachant notamment le sexe et les seins de Marie (la rousse).
Attention cependant à ne pas prendre trop au sérieux tout cela. Tout est jeu dans Les Petites Marguerites, du montage surréaliste aux situations souvent burlesques. Alors qu’elles viennent tout juste de faire amende honorable (en faisant le ménage !), se déclarant sans trop de conviction enfin « heureuse », n’entend-on pas l’un des deux personnages dire à l’autre, après un moment de silence : « On joue ? ».