La Jetée
8.1
La Jetée

Court-métrage de Chris Marker (1962)

Persistance rétinienne et persistance du souvenir

Il est donc question du visage d’une femme. Ou plutôt de l’image d’un visage. "Photographié" juste avant le tumulte, entre "les avions en partance" (cette réplique est pour moi inoubliable), les coups de feu, la foule dominicale venue assister aux départs des avions sur "le décor planté de la jetée" ; et surtout juste avant la guerre.

Une image de visage donc, gravée dans la mémoire du personnage (alors enfant), et destinée, comme toutes les images de visage, à subir les inévitables dommages du temps : les transformations, les petits arrangements avec la réalité des traits, un visage qui va se mélanger aux mille autres rencontrés par après.


Mais cette image, notre héros va s’y accrocher éperdument. Comme un souvenir arraché à la vie en temps de paix. Magie du cinéma, cette image se fait femme, telle que dans le souvenir - vertigo véritable, parfaitement illustré par l’unique plan filmé ! Se projettera sur elle tous les désirs : salut de l’humanité, amour, réparation du passé, espoir d’un avenir meilleur. Tant et si bien qu’elle poursuivra le héros jusque dans sa mort, dans un final vertigineux où passé, présent et futur s’entrechoquent, où la femme redeviendra image et où l’on se demande encore si cette image est le visage de l’amour ou celui de la mort - Eros et Thanatos sous les mêmes traits.


En voilà une belle allégorie pour nous autres cinéphiles, friands (parfois jusqu’à l’excès) d’images de toutes sortes, allant jusqu’à s’en marquer l’esprit au fer rouge des visionnages et revisionnages "pour ne pas qu’elles s’échappent" - et Chris Marker savait bien de quoi il parlait, lui qui dit avoir vu Vertigo (Alfred Hitchcock, 1958)19 fois dans son film Sans soleil (1983). Des images dont on aime tant se nourrir et qui nous poursuivront peut-être (sûrement), nous aussi, jusqu’à la mort ?


Enfin, là où cette "impression" de l’image dans l’esprit prend tout son sens, c’est que tout le film (enfin presque tout) est composé d’images fixes. Et c’est dans cette étrange fixité, si peu habituelle au cinéma, que l'image va s’imprimer, se figer dans la mémoire avec tant de force. Quel affront au 7ème art, quand on y pense, qui s'est construit sur l'illusion du mouvement. Comme ce film est puissant.

jroux86
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le 15 juin 2024

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