Sorti en 1941, Les Pionniers de la Western Union est le deuxième des trois westerns réalisés par Fritz Lang au cours de sa longue carrière, entamée en Allemagne à la fin des années 1910 et poursuivie aux États-Unis juste avant la Seconde guerre mondiale. Il s'agit d'un film de commande, réalisé à la demande du producteur Darryl F. Zanuck dans la foulée d'une première tentative, Le Retour de Frank James (1940), réputée honnête à défaut d'être brillante. Ici, comme le titre français l'indique très justement, l'histoire est celle d'une groupe de pionniers de l'Ouest américain, les employés de la Western Union, qui construisirent la première ligne transcontinentale de télégraphe.
En 1860, l'Union prend conscience de l'enjeu vital que représente la communication entre l'Est, déjà largement maillé par le télégraphe, et la lointaine Californie, état à part entière depuis dix ans et pourtant toujours isolée à l'autre bout du continent. Alors qu'éclate la guerre de Sécession, le Congrès vote le Telegraph Act, qui autorise le gouvernement à lancer un appel d'offres pour la construction d'une ligne transcontinentale. Une seule compagnie y répond : la Western Union. Entre juillet et octobre 1861, quatre équipes convergeant vers Salt Lake City depuis Omaha à l'est et Carson City à l'ouest, plantent 27 500 poteaux sur plus de 3500 kilomètres, reliant enfin de manière quasi-instantanée les côtes Atlantique et Pacifique. Bien que rendue obsolète huit ans plus tard par l'implantation d'un nouveau réseau le long du chemin de fer transcontinental, la pose du premier "fil qui chante" dans les Grandes Plaines et les montagnes Rocheuses est devenue l'un des mythes fondateurs de la construction de la nation américaine.
C'est cette aventure épique que narre le film de Fritz Lang. Après une remarquable séquence d'introduction en plein désert, au cours de laquelle Vance Shaw (Randolph Scott), un bandit en fuite, prend le temps de secourir Edward Creighton (Dean Jagger), un géomètre blessé, les deux hommes se retrouvent quelques mois plus tard à Omaha. Le cow-boy y accepte le poste de conducteur de bétail que lui propose l'ingénieur en chef de la Western Union. À ce duo se joint Richard Blake (Robert Young), un pied-tendre venu de l'Est qui ne tarde guère à gagner le respect de ses compagnons. On assiste donc à la constitution de l'équipe, entre le recrutement des principaux leaders et celui des employés, et à la mise en place d'un triangle amoureux entre la jolie Sue (Virginia Gilmore), sœur de Creighton, Shaw et Blake. Lorsque tout le monde est prêt, la pose du premier poteau à Omaha, sous les applaudissements d'une foule enthousiaste et patriotique, donne le véritable coup d'envoi de l'aventure. Sur un joli plan de poteaux télégraphiques alignés vers l'horizon sur fond de soleil couchant, ainsi se conclut cette sympathique et légère demi-heure d'introduction.
Au cours de leur progression dans les vastes étendues sauvages du Far West, les pionniers sont évidemment confrontés à de nombreuses difficultés : le vol de leur bétail, puis de leur chevaux, des attaques d'Indiens, et enfin l'incendie de leur campement. Dans cette partie du film, le propos se fait plus sombre et l'intrigue se resserre autour du personnage de Shaw, ex-bandit tentant de se racheter une conduite, mais toujours poursuivi par son destin. Malgré l'estime que lui portent Creighton et Blake, et malgré la possibilité bien réelle d'une idylle future avec Sue, le héros continue à jouer sur deux tableaux : celui de sa nouvelle famille, la Western Union, et celui de son ancienne, la bande de malfrats responsable de tous leurs ennuis. On comprendra tout à la fin les raisons de son incapacité à choisir entre un camp et l'autre... L'histoire, fatalement, se réglera alors au cours d'un duel au pistolet d'une violence glaçante décuplée par l'absence de musique.
La construction de la ligne télégraphique transcontinentale sert donc de toile de fond à ce portrait de Vance Shaw, homme oscillant constamment entre la lumière et l'ombre, et suscitant tour à tour l'admiration et le mépris. Remarquablement interprété par Randolph Scott, tout en sobriété, ce personnage tranche assez nettement avec l'archétype du héros du western classique, alors que le reste du film s'inscrit parfaitement dans ce courant. Truffé de plans magnifiques dans des paysages superbes, remarquablement mis en valeur par un TechniColor chatoyant, Les Pionniers de la Western Union n'est pourtant pas exempt de défauts techniques (une bande-son pas toujours très juste, des transparences un peu trop évidentes dans la scène de rencontre avec les Indiens) et scénaristiques (le triangle amoureux complètement délaissé après la première demi-heure, les gags récurrents et très vite pénibles du cuisinier). Portant sous certains aspects la patte de son illustre réalisateur, ce western est donc un peu plus qu'un bon divertissement familial, mais bien moins qu'un chef-d'œuvre.