Sur ce constat assez paradoxal qui veut que la fiction soit l’une des meilleures voies d’accès à la vérité, Les Pires est un exemple éclatant. Fruit d’un travail de plusieurs années, entre casting sauvage et ateliers avec les résidents d’un quartier de Boulogne-sur-Mer, le premier long métrage de Lise Akoka et Romane Gueret suit le tournage d’un film, et pourrait se présenter comme une Nuit américaine des cités. Dès la séquence d’ouverture, qui reprend des castings vidéos, les réalisatrices se mettent en quête des visages qui pourront raconter un lieu, une époque et le temps si fragile et vigoureux de la jeunesse. Et les figures qui se dégagent rapidement (une Lolita, un poseur, un enfant ténébreux et en proie à de violentes crises de rage) vont nourrir avec intensité un récit à double face. D’abord par le film qui se construit en abyme, et que dirige un réalisateur qui ne sera jamais idéalisé, autant à l’aise avec les enfants que potentiel prédateur de tout le potentiel romanesque des lieux dans lesquels il s’incruste. Le ressentiment de certains résidents du quartier fait écho à cette approche qui fait sens : voir débarquer des équipes au service d’une œuvre de fiction aura très probablement pour cause une dimension dénonciatrice que ne s’attardera que sur le pire, et enfoncera encore plus la population dans la stigmatisation. Mais la vie, les échanges, l’épanouissement des comédiens et l’infusion lente d’une sorte de poésie dans les lieux tend à prouver le contraire : de ce qui est joué à ce qui se joue, des éclats de rire face au maladresses au grand lâcher de pigeon onirique au-dessus des tours, le quartier est embarqué dans une aventure collective qui n’a rien d’une fuite vers les illusions de la fiction.
Car la vie des comédiens déborde largement le cadre posé par le cinéaste, et c’est dans ces interstices que les réalisatrices parvient à capter des instants miraculeux d’authenticité. Par la dérive d’une bagarre filmée qui vire au pugilat véritable, et son pendant, une scène d’intimité dans laquelle la tendresse et la complicité renforceront les protagonistes, les comédiens apprennent à vivre, récitent un amour devant la caméra avant de se manger les râteaux du réel, et défendent contre les ignorants les vertus de la représentation.
Il ne s’agit pas pour autant de dériver vers un récit à messages et une étude sociologique des lieux. La déception amoureuse de Lily face à un adulte a tout du fragment de vie universelle, et lorsqu’on veut être pédagogique en débriefant avec Ryan, son « ‘chais pas, je m’en fous, j’étais pas là » a toutes les vertus du principe de réalité. Le récit en abyme n’est qu’un miroir presque maladroit des émotions contradictoires, d’une énergie parfois ardue à canaliser qui gravite autour du processus de création. Et c’est dans ce vivier infini, mais si difficile à capturer, que les réalisatrices parviennent à saisir au vol les instants de vérités et l’éclat profonds de regards singuliers.