Qu’est-ce que l’humour ? Comment peut-on le juger ? Je me pose souvent la question car j’aime rire.
J’aime le lâcher prise, l'éructation sonore, la sollicitation des zygomatiques. Le rire est un baume que le cerveau applique au cœur.
Comment considérer le rire ?
Comme un marqueur fondamental d’une civilisation, une réaction physique ou un fait social. Le rire est une force, une énergie, un lien.
Le rire se définit par ce que l’on en fait. Un instrument de domination, un outil de rébellion, une composante essentielle de l’expression de soi.
La réaction nécessite une action. Le rire, un comique. Et c’est là que les avis divergent. Les référentiels sont différents et les points de vue, biaisés. Ce que je perçois comme comique, autrui le comprendra autrement. D’une même scène, plusieurs levées de rideaux.
M’enfin vous avez compris.
Bref, Les Pistolets en plastique de Jean-Christophe Meurisse, c’est drôle.
Moi, je trouve ça rigolo.
Pourquoi ?
Hé bien allons-y Alonzo !
Le scénario reprend grosso modo l’histoire de l’affaire Xavier Dupont de Ligonnès (ici, Paul Bernardin) l’homme qui a terrassé sa famille après l’avoir massacrée et qui, depuis, court toujours.
En attendant qu’il s'essouffle, on peut bien s’inspirer du fait divers pour en faire un fait de société, non ?
C’est en tout cas ce que propose Jean-Christophe Meurisse, un tour de la société en petits tableaux présentant des personnages et des situations différentes. Des enquêtrices du dimanche surinvesties aux policiers qui speach pas très bien la langue de Shakespeare en passant par la vie cauchemardesque de celui que l’on pense être le coupable.
C’est varié, c’est frais et c’est méchant.
Et surtout, j’ai rit. Beaucoup rit.
Ce rire, pour sûr, n’a pas été partagé par tous les spectateurs.
Et pour cause, Les Pistolets en plastique jouent sur des cordes différentes qui n’en demeurent pas moins complémentaires. La structure du film à sketchs implique une maîtrise certaine du rythme, du cadre, de la mise en scène du comique. Le rire c’est sérieux. Venu du théâtre, le gars Meurisse fait fort à l’endroit même des faiblesses de son film, l’apparence décousue de l’ensemble crée la cohérence.
Plusieurs cordes, disais-je, parmi lesquelles le comique de situation qui prend ici plusieurs formes. Des personnages qui se retrouvent dans une situation qui contraste avec ce qui compose leur personnalité : caractère, physique, classe sociale ou autre. Une situation qui, par la force des choses, va sortir de l’ordinaire pour nous toucher par la grâce du rire. Des exemples ? Allez, des exemples… C’est Christine Valet-Dubreuil (jouée par Charlotte Laemmel), une femme sans enfants ni vie sexuelle qui se prend d’obsessions pour la vie de famille idéale des Bernardin, épaulée par Léa Blanchard (Delphine Baril), mère de famille désabusée. C’est également Michel Uzès (Gaëtan Pau), passionné de country qui se retrouve dans une salle d’interrogatoire danoise obligé de démontrer que oui, il sait danser, face au commissaire Hammer (Anne-Lise Heimburger). C’est, entre autres exemple, John et Johnny (Fred Tousch et Jonathan Cohen) deux médecins légistes qui bavardent de l’importance du fait divers en société pendant une dissection à thorax ouvert. De ces situations naissent des dialogues absurdes ou noirs, jouant souvent sur les silences. Toujours ciselés, ils mettent en valeur les caractères des personnages ou encore l’absurdité de la situation.
Mais ces dialogues couplés à l’interprétation des acteurs ne suffisent pas. Le choix de cadres pensés comme des synthèses est déterminant. Et dans ce cadre, un champ des possibles. Le champ c’est, presque systématiquement, un lieu et des décors très riches remplis de détails, un ou des personnages et un hors-champ qui peut même être plus important que ce qu’il se joue dans le champ. Souvent, l’arrière-plan et le premier plan se complètent pour former un tout cohérent qui encapsule la situation, les personnages et leurs caractéristiques sociales. Dans un intérieur de maison décoré par un passionné de taxidermie, Christine et Léa paraissent moins étranges que gênées et le contrechamps de révéler la véritable raison de cette gêne. Dans un commissariat à la blancheur irréelle, ce sont des policiers danois à la peau tout aussi éclatante qui empêchent toute évasion du présumé Bernardin. Et au milieu, coule une fontaine à eau. Cette attention apportée aux détails et à l'épure est peut-être héritée du théâtre où officie Jean-Christophe Meurisse, reste qu'elle est efficace principalement car elle rend toutes les scènes lisibles, évocatrices et percutantes.
Dès que le décor est planté, il ne reste plus qu'à dérouler. Le passage du premier au second plan comme du second au premier est parfois même littéral. Exemplairement, la conversation en visioconférence des 2 services de police. La séquence voit se relayer 2 français (Aymeric Lompret-somption d'innocence et Vincent Dedienne) en tenues de civils et barbes de trois jours, binouzes et clopes sur le bureau, jeu de fléchettes et dossiers entassés en arrière-plan, le tout dans un bureau qui fleure bon les restrictions budgétaires. Leurs homologues danois (Malene Bendsten, Ib Christian Petdersen, Jeppe Ronn-Landbo) sont en tenues professionnelles, dans un lieu blanc, rectiligne et vide. Les contrastes sont forts et rendent la situation décalée par la rencontre des 2 groupes. Le reste ne sera que perfection du contraste. Et puisque le diable est dans les détails, j'ajouterai que je n'ai pas mis un point d'honneur à préciser systématiquement les noms des acteurs pour rien. Le casting est peaufiné pour faire ressortir les qualités de chaque comédien avec qui entre en résonance le texte. La verve du tuteur François Rollin contraste avec la vacuité de la récompense et la réaction exagérée de Charlotte Laemmel, le policier ahuri Aymeric Lompret persuadé de pouvoir obtenir gain de cause épaulé tant bien que mal par le désespéré Vincent Dedienne ou encore l’énergie et l’impudeur de Nora Hamzawi, femme enceinte qui se heurte à l’antipathique et patibulaire Gaëtan Peau. Chaque choix est travaillé pour coller au mieux à l’effet recherché.
A ce sujet, on peut légitimement questionner la place de l’improvisation dans la démarche de Jean-Christophe Meurisse. Les acteurs principaux jouent dans la même troupe, les chiens de Navarre, et ont donc l’habitude d’improviser, d’expérimenter, de composer ensemble. C’est probablement cette complicité et cette connaissance des registres et talents de chacun qui a permis de tailler sur-mesure des rôles tout en laissant une certaine latitude dans l’improvisation. Le choix est louable : faire intervenir, presque comme des caméos, des acteurs à la notoriété certaine au profit du temps d’écran des acteurs moins connus avec qui il travaille au quotidien. Le résultat tient du travail de funambule entre les registres comique et tragique, horrifique même. A l’image de la vie tout peut basculer d’un extrême à l’autre sans prévenir. J’entends la critique qui souligne la gratuité du film avec, en tête de liste, la violence de certaines scènes. Mais je m’en carre. La vie elle-même est parfois d’une gratuité telle… Si le malaise et les émotions ressenties en sont le résultat, le jeu en vaut la chandelle.
Ce malaise, justement, est clivant mais efficace. La structure du film elle-même met en place un système qui favorise le contraste par la comparaison des situations. Puisque le spectateur suit le quotidien du vrai Bernardin, en parallèle des autres sketchs, le retour à la réalité n'est que plus puissant. Oui, cet homme vit sa meilleure vie en Argentine. Oui c'est possible de mettre en scène des moments d'une violence gratuite mais bienvenue dans une comédie. C'est ce qui s'appelle la liberté créative.
Le rire que j’ai ressenti lors du visionnage des Pistolets en plastique est un rire ô combien libérateur. Celui qui se moque de la peine, du mal-être et du désespoir pour mieux les surmonter. Un rire franc, empathique, humain, un rire qui fait du bien. Et pour l’amour du ciel, de la mer et de la putain de terre nourricière, qu’on arrête de poser la question, oui on peut rire de tout, et l’on doit. Sinon, autant se tirer immédiatement une balle de pistolet en plastique.