Les Plages d’Agnès, plus qu’un film, c’est une leçon de vie, d’optimisme et d’humanité. Agnès Varda nous interpelle, nous invite à vivre ou revivre avec elle des instants précieux mis bout à bout. La cinéaste, la documenteuse, la voleuse d’instantanés, la femme la mère. Ni album de souvenir, moins encore un herbier, les pages d’Agnès que l’on tourne compose un livre d’heures unique, dont liberté, sincérité, abnégation à son art, humour et simplicité d’âme sont les mots clefs. Elle se livre plus que par le passé, truculente, émouvante, amoureuse, splendide ! Jeu de miroirs et de prismes, les plans s’enchaînent, se croisent et livrent la matière : une vie.

Agnès, certains s’accrochent à la terre, pour se rassurer, terre d’enfance, terre d’asile, terre promise… mais six pieds sous terre tout apparaît comme terre à terre. Agnès aime les plages, paysage évoluant sans cesse à la stabilité incertaine. Comme une vie dont le terme est aussi illusoire qu’un tas de sable, que le vent du futur viendra désagréger, laissant les souvenirs à l’esprit

Agnès est une femme tombée en amour pour la vie, Jacques Demy hante son film comme il hante sa vie. De photos joyeuses en bout de films, de mots en larmes, son absence la torture admirablement, il vit encore par elle et pour elle. Jacquot de Nantes était l’homme, son homme emporté trop vite par une saloperie, un virus qui a éteint une certaine forme de vie. SIDAbitude, caché, elle met à jour le combat qu’il a mené, ainsi que ses proches. Larme à gauche, douleur à droite, les spectateurs que nous sommes sont effondrés par cette scène qui résonne déjà comme une anthologie.

Agnès et son éternelle allure de garçonne s’est imposée à la vie autant qu’en matière artistique, femme de passion, égérie d’une nouvelle vague, elle craque pour les beaux yeux de Godard et n’en oublie pas les autres copains dont Resnais. Elle a imposé un style, le sien qui la porte du film le plus conventionnel à l’expérimental avec toujours autant d’intelligence. Libre, couverte de prix, elle avance se moquant d’une carrière en s’attachant à son œuvre. Agnès, avec toit mais loi, elle déteste les dogmes.

Agnès se souvient, sur au autre temps fort du film, de ses amis disparus autour d’une exposition à Avignon. Les Vilar, Gérard Philippe, Noiret, Monfort… Tassée, recroquevillée, elle parle à sanglots à peine étouffés, comme celle qui reste et le regrette. On pense à La chambre verte, où Truffaut évoque le fait de connaître plus de morts que de vivants… Une vie qui a filé.

Agnès, le deuil est omniprésent, salutaire, car jamais elle ne se sépare de son optimisme, de son mordant. Si elle daigne regarder en arrière, c’est plus pour extirper la quintessence de la vie. L’enfance, le couple, les films, les rencontres tout participe à forger un avenir certes restreint mais fervent.

Agnès Varda, sans avoir l’air d’y toucher ou presque, s’est imposée depuis plus d’un demi siècle comme l’un des piliers du cinéma international. Toujours ludique, parfois grave, elle embarque son petit monde dans ses voyages, dans ses pensées. Ses films sont des éclats de vie, des murs murs passionnés, les fruits d’une glaneuse d’images, la plume acérée, la pointe courte et tellement étoilée. Une demoiselle qui a fêté ses 80 ans et dont l’éternelle jeunesse nous ravit.

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le 18 sept. 2014

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Fritz Langueur

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