Distribué en France sous un titre accrocheur totalement ridicule, Peyton Place, réalisé par le très éclectique Mark Robson n’a pas soulevé l’enthousiasme de la critique, loin s’en faut. Dans 50 ans de cinéma américain, Coursodon et Tavernier le qualifient très injustement d’«écoeurant feuilleton, malsain et hypocrite» tandis qu'à sa sortie, en 1957, les critiques américains reprochaient aux scénaristes d’avoir édulcoré à l’extrême le roman éponyme de France Metalious paru une année plus tôt, virulente description d’une société puritaine,hypocrite et corrompue, où les frustrations sexuelles, exacerbées par les ragots et la méchanceté ambiante produisent une atmosphère irrespirable. Avec le recul, on a plutôt l’impression que le studio est allé le plus loin possible, alors que le code Hays qui contrôlait la moralité des films, certes avec moins de rigueur qu’auparavant, n’était pas encore abrogé. Une scène où l’on voit de façon explicite un ivrogne qui viole sa belle-fille, un médecin qui proclame devant un tribunal avoir pratiqué un avortement, des jeunes gens qui partent pour la guerre sans afficher l’enthousiasme et le patriotisme habituels dans ce genre de productions: on sent qu’Hollywood est en train de changer et se prépare à aborder frontalement des sujets jusque là seulement suggérés. On a reproché à Mark Robson son manque de style, mais c’est sans doute cette sobriété tout sauf académique, qui fait que le film se laisse encore regarder aujourd’hui avec plaisir, malgré sa longueur (plus de deux heures et demie). S'il respecte les codes du mélo populaire façon soap opéra (le roman fera plus tard l’objet d’un feuilleton à rallonge de 514 épisodes), Mark Robson maintient une juste distance et parvient à éviter le pathos, malgré la musique parfois insistante de Franz Waxman. Icône sexy du film noir (Le facteur sonne toujours deux fois, de Tay Garnett, 1946) ou Milady sensuelle et retorse à souhait chez George Sidney (Les trois mousquetaires, 1948), Lana Turner est parfaite pour ce rôle à contre-emploi dans les tailleurs stricts d'une femme frigide qui se fait passer pour veuve alors qu’elle a eu sa fille avec un homme marié.