Il faut l'avouer. Ce film de Marcel Carné est loin de la "mauvaise réputation" qu'on lui colle aux basques. Certes, ce n'est pas "Quai des brumes" ou encore "Le Jour se lève", mais il est très bien écrit et mis en scène. Il se hisse en haut de la production cinématographique de l'immédiat après-guerre.
Que lui reprochais-t'on alors ? Voir, encore aujourd'hui.... Un sujet trop marqué par le réalisme poétique d'avant guerre, genre dont Marcel Carné était un des chefs de files? Ratage ? Si on appelle ça un ratage.... voyez les films ultérieurs de Carné. Vous y trouverez peut être des ratages...
Pourtant l'histoire de Prévert et Carné, à la limite du fantastique, est bien ancrée dans le contexte de l'épuration. C'est d'ailleurs ce qui est le plus réussi dans le film.
L'idée de faire intervenir le Destin, incarné par un Jean Vilar habité, qui est à la fois intriguant, effrayant et protecteur, relève de la métaphore poétique. Que l'on soit un vrai salaud hypocrite et collabo ou du bon côté de la barrière, le destin ne s' embarrasse pas de justice morale. Il frappe au hasard pour que chacun accomplisse son Destin. Pas de retour du bâton. Non, une invitation à la relativisation.
L'histoire d'amour non consommée entre Montand (jeu hésitant - c'est pardonnable car son premier rôle en tête d'affiche) et Nathalie Nattier (très fade) fil rouge du film, n'est pas ce qui importe le plus. Ce sont l'enchevêtrement des situations qu'elle provoque directement. Puis on comprend vite qu'ils n'ont pas l'âge de leur personnages, trop vieux. Ils font ce qu'ils peuvent. C'est sur qu'avec Gabin et Dietrich on aurais pu parler d'un chef d'oeuvre... Quoi que....
Il y a des grands moments, surtout le face à face, entre Sénéchal père et fils, l'un ayant profité de la cagnotte du marché noir - Saturnin Fabre, toujours épatant - et l'autre, héros fabriqué de la Libération, ancien milicien collabo, lâche, envieux, à l'âme désespérément noire - incarné par un Serge Reggiani époustouflant. Le pire quoiqu'il arrive, c'est sa haine des autres qui la provoque. Pour autant, le jeu de Reggiani parvient à nous toucher. On le plain d'autant plus.
La rencontre avec Pierre Brasseur, très bon dans l'émotion contenue d'un coeur torturé et souffrant - le mari de Nattier- plus fugace, est tout aussi forte, mais décisive. Le vrai manipulateur de destin c'est Reggiani. D'ailleurs le Destin lui même semble dépasser par la noirceur de Sénéchal fils.
Un film d'atmosphère, plus noire qu'avant guerre. Le Paris populaire, ses pavés luisants, ses âmes errantes, les bistros du coin.... - obligé de penser à Duvivier dans ce film - encore plus désespéré. Pas de salut. Pas d'espoir. Seulement la vie imparfaite avec ses moments de lumières.