Pour son premier long-métrage, Tony Scott s'aventure sur des terres qu'il ne fréquentera plus à l'avenir. Fantastique et gothique à la fois, Les Prédateurs s'articule autour de deux thèmes principaux et assez voisins : vampirisme et immortalité. Si le premier reste relativement récent dans la littérature, du moins comparé au second, ce dernier demeure peut-être le plus ancien de la forme écrite – il apparut en effet dans l'une des toutes premières fictions connues, L'Épopée de Gilgamesh, écrite bien des siècles avant le début de notre ère. Ce film mêle donc, et en quelque sorte, l'assez neuf avec le très vieux, ce qui se montre assez peu banal même en ce début des années 80 où le postmodernisme prenait son essor.
Et par-dessus le marché, ce récit choisit pour chacun de ces thèmes un angle d'attaque plutôt original lui aussi. Ainsi, les vampires, ici, ne craignent pas du tout la lumière du soleil ; par contre, et mis à part une force assez peu commune, ils ne disposent d'aucuns pouvoirs particuliers, de sorte que vous ne les verrez pas se transformer en chauve-souris ni commander aux loups ou aux rats – pour citer les clichés les plus éculés mais aussi les plus risibles. Quant à leurs talents hypnotiques, ils se voient remplacés par un charisme époustouflant, ici interprété avec grand brio par une Catherine Deneuve flamboyante et un David Bowie magistral.
Enfin, l'immortalité, pour sa part, présente ici comme particularité de ne pas dépendre d'un simple échange de sang entre le vampire et celui ou celle qu'il a choisi comme compagnon ou compagne : au lieu de ça, il repose sur l'amour qui lie entre eux les deux pôles du binôme. Une fois les morsures partagées du moins puisque ce sont les sentiments qui prolongent la vie... Le symbole se veut pour le moins transparent, et contribue beaucoup à présenter le thème sous un jour assez original, même s'il se teinte d'un soupçon de naïveté qui somme toute convient plutôt bien à l'inspiration gothique du film.
Les problèmes commencent donc quand l'amour fléchit – c'est-à-dire tôt ou tard. Susan Sarandon se présente à ce moment-là. Son personnage, médecin et chercheur de surcroît, symbolise bien sûr la rigueur de la vérité scientifique qui met à mal la superstition ancestrale, même si la conclusion montre qu'elle contribuera largement à la prolonger – encore que sous une coloration assez différente, et en fin de compte bien dans l'air du temps de ce film post 70s et donc parée d'un certain désenchantement vis-à-vis du modernisme.
Car si ces prédateurs-là présentent une facette très humaine par leur besoin vital d'amour, ils ne le partagent malgré tout qu'entre eux et en excluent ceux qui ne leur ressemblent pas pour user de ces derniers comme bon leur semble, soit comme du bétail. À peu de choses près, ils figurent ces financiers des années 80, les « années fric », qui capitalisaient sur tout, y compris sur les salariés, et dans la plus totale indifférence pour ces derniers.
Échec autant critique que public lors de sa sortie, Les Prédateurs s'est néanmoins affirmé peu à peu comme une œuvre culte pour son esthétisme aussi sombre et froid que sophistiqué et classique, ainsi que pour son récit d'amour et de mort à l'intrigue subtile, sans oublier ses jeux d'acteurs exceptionnels et sa photographie brillante.
Mais c'est aussi un OVNI du cinéma fantastique pour sa démarcation tout à fait inattendue sur deux des principaux thèmes du genre, ainsi que – dit-on – une œuvre phare du cinéma gay/lesbien mais aussi du mouvement gothique pris dans son ensemble.
Pour son premier long-métrage, donc, Tony Scott signe une production exceptionnelle sous bien des aspects et que le lecteur à présent averti ne saurait rater sous aucun prétexte.
Note :
Ce film est une adaptation du roman éponyme de Whitley Strieber paru aux États-Unis en 1980 sous le titre The Hunger et publié en français aux éditions J'ai lu en 1983.