L'humanité*
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Pour son quatrième long métrage, Bouli Lanners retrouve la veine métaphysique de son premier opus, le superbe et désolé Ultranova. Mais toute parabole prend des allures d'anecdote et le réalisateur belge ne déroge pas à la règle, glissant ces parcours de rédemption sous des dehors de western moderne, coloré d'intrigue policière.
Les premiers plans inscrivent clairement le film dans un monde entre ciel et terre, sous des nues fuligineuses longuement contemplées et créant une atmosphère de fin des temps. Après qu'une quête de téléphone portable ait été initiée - le réalisateur acteur, flanqué de son comparse Cochise, lancé sur la piste de cet objet perdu par le propriétaire commanditaire -, on retrouve ce cheminement entre ciel et terre, avec le surgissement d'un jeune couple un peu hagard, superbement interprété par Aurore Broutin et David Murgia. Ce duo semble fuir, en suivant l'axe rectiligne de l'espèce de viaduc anciennement destiné à soutenir la progression de l'aérotrain, conçu par l'ingénieur Jean Bertin et supplanté par le TGV... Tantôt progressant tout droit sur cet étrange chemin aérien lancé à travers champs et forêts, tantôt s'abritant au pied des piliers qui le soutiennent, les jeunes gens dévoilent finalement l'objet de leur propre quête : une visite à la fille d'Esther, qui a été retirée légalement à sa mère. La désorientation profonde du couple va se traduire par les changements successifs dans l'objet de leur quête : après la nourriture, viendra la recherche d'un cadeau pour l'enfant - dont Esther ne connaît plus bien l'âge -, et finalement, le duo se retrouvant scindé, la recherche, éperdue, absolue, du partenaire égaré...
Les cow-boys en 4 x 4, traquant le portable dans les rares moments où celui-ci, connecté, manifeste sa présence, varieront moins dans leur quête, mais ils n'en croiseront pas moins, sur leur chemin, d'impressionnantes figures, incarnées par "les géants" (hommage au précédent film de B. Lanners) que sont Michael Lonsdale et Max von Sydow. Géants qui permettront au personnage de Bouli, Gilou, de se retrouver lui-même : son souci pour un macchabée desséché et exigeant sépulture lui permettra d'échapper à un repli sur lui-même dont il mourait à petit feu.
"Qui s'inquiète pour toi ? Et toi, pour qui t'inquiètes-tu ?", lui avait demandé un autre géant, Jésus, rencontré par chacun des personnages au moment où celui-ci se trouve dans un pic de désarroi. Jésus, dont les cheveux au vent et l'œil à la fois perdu et rassurant sont ceux de l'inimitable Philippe Rebbot. Car il s'agit bien de Jésus, et non seulement du prénom espagnol, puisque sa présence est glosée par l'apparition récurrente d'un cerf, aux jours duquel il sera d'ailleurs mis fin par un funeste chasseur...
La quête s'étant élevée à ces altitudes, et toutes les recherches des différents protagonistes s'étant soldées de manière heureuse (sauf pour les méchants, mais le règlement de leur compte, d'ailleurs effectué en off, fait partie de l'heureuse fin), on comprend bien que l'enjeu du film n'était pas le petit portable bien futile, quoique porteur de lourds secrets, et qui sera finalement retrouvé. Mais au-delà du message éventuellement mystique, B. Lanners nous livre ici un film profondément humain et, au bout du compte, optimiste.
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le 1 févr. 2016
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