Ami cinéphile, récite-le-toi comme un mantra avant d’aller voir le nouvel opus de Sofia Coppola : Les Proies n’est PAS un remake des Proies, et il faudra absolument s’interdire de penser à la version de Siegel pour éventuellement apprécier à sa juste valeur la nouvelle déclinaison ici offerte.
Car si l’on tient compte de l’univers de la cinéaste, sa version est tout à fait sensée. Jugez plutôt : un groupe de jeunes filles, une préceptrice et une tenancière, perdues dans une belle demeure du Sud alors que le combat gronde à quelques encablures. L’irruption d’un Nordiste blessé va brouiller le sage équilibre et redistribuer les cartes.
Sofia Coppola s’intéresse davantage à ses personnages féminins qu’à la figure du loup dans la bergerie. Son casting savamment composé nous offre une variation sur les trois âges de la femme, de la jeune fille en fleur (Elle Faning, impeccable) à la figure maternelle encore vibrante de désir (Nicole Kidman, d’un grand raffinement) en passant par la femme qui n’a pas encore su trouver sa place et hurle silencieusement sa frustration (Kristen Dunst, fragile et touchante). Difficile de ne pas y voir une étape supplémentaire sur les thèmes qu’elle avait joliment exploités dans Virgin Suicides.
Le film va ainsi mettre en place un marivaudage habile dont le pivot sera l’hôte au charme évident, ce qui permet à Colin Farrell et Kidman de former un nouveau couple après celui, bien torturé lui aussi, orchestré par Lanthimos dans Mise à mort du Cerf Sacré.
L’espace est savamment découpé, et les tentatives se succèdent pour y accéder. Les chambres sont autant d’alcôves propices aux jeux de séduction, et le mâle comprend rapidement qu’il a toutes les cartes en mains. La photo qui joue de cette délicatesse du non-dit est souvent belle, dans la clarté chaude des bougies du soir ou les vapeurs solaires des embrasures de fenêtres où jouent des étoiles de poussière.
Le maniérisme guette un peu, notamment sur le montage, assez systématique, ponctuant chaque scène d’un joli plan sur la brume dans les arbres luxuriants du Sud.
Le manège convainc un temps, notamment autour de deux scènes majeures de repas, où le jeu des regards, des sous-entendus et de la manipulation permet au premier d’être franchement drôle et au second de virer à la farce cruelle.
On sent bien que la retenue de la cinéaste est calquée sur les bonnes manières en vigueur, et sur la façon dont Kidman tient tout son petit monde : sous le charme ou sur le point de tuer, elle ne se départit jamais de sa droiture. De la même façon, les désirs d’évasion du personnage de Dunst sont presque chuchotés, et la malice de celui de Fanning davantage suggérés que mise au premier plan.
Mais le film en souffre aussi : alors que les dérapages narratifs s’accumulent, on peine à se défaire de cette gangue un peu fade et de cette atmosphère théâtrale. Il manque une vigueur, une acidité, qui permette de lui donner sa pleine mesure. (Comment ça, je parle de Siegel ?)
Le jury, qui lui a attribué le prix de la mise en scène, semble avoir apprécié cette limite, qu’on peut alors considérer comme un parti-pris : Les Proies est un film joli qui raconte des histoires laides.
(6.5/10)