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Le cinéma muet suédois est quelque chose qui m'est à la fois largement méconnu et bien intrigant, permettant d'accéder à des variations intéressantes sur le canevas mélodramatique traditionnel (à base de mystère entourant un personnage, de passé qui ressurgit, de triangle amoureux et autres péripéties sentimentales). Les décors naturels et souvent hivernaux confèrent à ces récits une dimension nouvelle, à l'instar de l'étrangeté de celui développé dans Le Trésor d'Arne (1919) par exemple.


Bien que tourné en Laponie, Les Proscrits se situe au milieu du 19ème siècle en Islande et suit les aventures de Kári, un homme de solide stature qui cherche du travail et en trouvera chez Halla, une veuve au fort tempérament. Plus tard il sera forcé de reconnaître (sous la pression de ceux qui l'ont démasqué et qui le traqueront jusqu'à la fin) que sa véritable identité est Berg-Ejvind et qu'il est en fuite suite à une histoire de vol de mouton — qui sera totalement légitimée à la faveur d’un flashback expliquant qu'il s'agissait d'éviter à sa famille de mourir de faim. Bien que le film soit découpé en 7 parties, on distingue essentiellement 3 grands temps : la rencontre de Ejvind et Halla et leur romance, puis la fuite dans les montagnes pour y vivre seuls avec leur enfant, et enfin, après qu'un élément perturbateur (entre autres, un certain Arne et son attirance pour Halla) les en ait délogés, leur terrible sort dans une cabane isolée de tout, perdue dans le froid, la neige, la faim, et les souvenirs tragiques d'un passé révolu.


On retrouve la structure assez classique de l'amour impossible, ici malmené par la présence du bailli, avec toutefois un choix de décors uniques, avec des montagnes majestueuses (quelques plans sur des pitons rocheux saisissants), des geysers bien utiles, des torrents, des plateaux enneigés, etc. Je dois avouer qu'un sursaut dramatique m'a un peu surpris par sa soudaineté : le moment où Halla décide de sacrifier son fils en le jetant dans les torrents du haut de la montagne est un passage où l'intensité dramatique tombe un peu comme un cheveu sur la soupe, sous la pression des hommes à leur poursuite certes, mais pas tout à fait bien amené. Cela n'empêche pas le film de nourrir un sens du mélodrame aigu, avec un pied dans le drame frontal agrémenté de quelques séquences très fortes — je pense à la séquence d'alpinisme involontaire où le protagoniste se retrouve suspendu par une corde au-dessus du précipice, tournée dans des conditions qui semblent bien réelles. En tous cas, pas l'ombre d'un happy end ici...


Le résultat est un mélodrame lyrique, structuré autour du rejet du couple par la communauté, empreint de cette poésie champêtre de la montagne typique d'une partie du cinéma muet (comme dans le film norvégien de 1921 L'Éveil de la glèbe), en grande partie tourné vers les paysages rudes (lapons en l'occurrence) et capté dans un style naturaliste. Pas mal de scènes / d'images marquantes donc, entre les baignades dans un torrent, les activités autour d'une source d'eau chaude, la vie heureuse au bord d'une falaise en fumant une pipe, et bien sûr l'ultime souffle de vie perdu sous la neige, comme la fin glacée d'un cycle de saisons.


http://je-mattarde.com/index.php?post/Les-Proscrits-de-Victor-Sjostrom-1918

Créée

le 12 déc. 2020

Critique lue 138 fois

5 j'aime

Morrinson

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