On regarde Les Raisins De La Colère comme d’autres vont à l’église, avec ce même silence religieux et respectueux, avec même une sorte de recueillement devant une œuvre qui dépasse les capacités humaines de compréhension. Il y a une part d’irréel dans l’existence d’un tel film, une absence presque absolue de défauts et une beauté de l’histoire qui en font presque une parabole biblique.

Les Raisins De La Colère suit le chemin de croix d’une famille de métayers en pleine crise 1929 aux U.S.A. Les terres de tous le village ont été rachetées par une compagnie pour les transformer en terre agricoles industrielles, il était bien évidemment impossible pour cette compagnie de ne pas, en plus, mettre ces paysans pauvres à la porte de chez eux. Une famille se retrouve alors entassée à douze dans un camion qui plie sous leur poids et leur peine, en route pour la Californie où la promesse du soleil s’ajoute à celle d’un emploi. Ils vont affronter, outre la longueur de la route 66, la bêtise gourmande des exploitants fruitiers qui transforment leurs terres en camps de travail pour chômeurs, la violence, le mépris et l’hostilité des gens de l’ouest qui ne voient pas d’un bon œil l’arrivée massive de chômeurs.

Ils échoueront finalement dans un camp tenu par le ministère de l’agriculture où l’accueil sera beaucoup plus franc et ouvert, où le travail ne sera pas qu’une vague promesse en l’air jamais tenue. Les occupants de ce camp ne se comportent alors plus en concurrents pour un même travail mais redécouvrent une solidarité salutaire qui leur donne la force nécessaire pour reconstruire leur maison et leur fierté d’êtres humains.

Nul doute que John Ford a été pris pour un « rouge » à l’époque car si ce film ne dénonce pas directement les dérives d’un système basé sur la promotion personnelle, il parvient subtilement à démonter les arguments du capitalisme pour promouvoir ceux d’un communisme humain. La meilleure preuve en est la mise en parallèle des deux camps dans lesquels séjourne la famille. Le premier dirigé par une société a des airs de prison, est dirigé de manière dictatoriale et sombre dans la violence. Le second, dirigé par l’état est propre, organise des bals, respecte les travailleurs et surtout il élit parmi ces occupants des délégués responsables d’une partie du camp.

Si John Ford n’était pas un « rouge », du moins était-il un génie capable sans aucune fantaisie de rendre son image magnifique. Cet homme avait un sens de l’image, du cadrage, de l’éclairage incroyables. On comprend beaucoup mieux pourquoi certains voient en Eastwood son héritier, ils ont tout deux le même amour des gens et du cinéma. Certaines scènes entre ombre et lumière, lorsque par exemple Henri Fonda dit adieu à sa mère sont d’une beauté qui pousse l’émotion au bord des larmes. C’est ce genre de scène qui sonne comme une parabole, dans ce monologue d’Henri Fonda imaginant l’avenir qui l’attend avec la ferveur d’une prière qu’il voudrait voir se réaliser.

Henri Fonda était un acteur magique, probablement né avec un don et incapable d’être mauvais. Il est comme le reste de la distribution, absolument bouleversant. Son jeu oscille pendant deux heures entre la peur de l’avenir, l’abattement et une volonté farouche de ne pas se laisser détruire par cette adversité à la responsabilité incertaine. Il a ce regard aujourd’hui légendaire malgré l’absence ici de ses yeux bleus, mais le noir et blanc apparaît essentiel dans ce film même s’il est subit par John Ford.

Peut-être que c’est finalement le film tout entier qui est une parabole, une parabole sur la déshumanisation d’une société plongée dans la crise, une parabole sur l’éternité de rapports humains basés sur le seul rapport de force, une parabole sur l’importance d’un état fédérateur pour nous maintenir dans l’illusion de la civilisation, une parabole sur le fait qu’il peut y avoir un état sans nation mais qu’il ne peut y avoir de nation sans état, en témoigne dans ce film l'incroyable racisme latent entre citoyens d’états différents.
Jambalaya
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Social work, On the road again et La Grande Batlle Finale: Quel sera le plus grand film ? [liste participative]

Créée

le 26 mai 2013

Critique lue 1.5K fois

46 j'aime

7 commentaires

Jambalaya

Écrit par

Critique lue 1.5K fois

46
7

D'autres avis sur Les Raisins de la colère

Les Raisins de la colère
Docteur_Jivago
10

"Le gouvernement s'intéresse plus aux morts qu'aux vivants"

C'est en 1940 que John Ford décide de mettre en scène la grande dépression américaine faisant suite à la crise de 1929 via l'œuvre de John Steinbeck sortie un an auparavant. Il met en scène la...

le 18 avr. 2016

68 j'aime

6

Les Raisins de la colère
guyness
8

Les raisons de la galère

Ce qu'il y a de parfait dans les raisins de la colère, c'est cette absence de personnification du mal. Ce dernier est diffus, protéiforme, omniprésent: c'est la crise, l'absence de filet de...

le 16 sept. 2011

63 j'aime

5

Les Raisins de la colère
SanFelice
10

Errance dans la poussière

Qu'est-ce qui fait de John Ford un des plus grands cinéastes de l'histoire ? Parce que dans ses films, il n'y a pas une image en trop. Tout ce qu'on y voit y est résolument indispensable. Parce que...

le 18 sept. 2011

61 j'aime

1

Du même critique

Le Monde de Charlie
Jambalaya
10

Charlie's Angel

Voici une œuvre miraculeuse, d’une justesse dans les sentiments et les émotions adolescentes qui m’a ramené vingt-cinq ans en arrière. A cette époque, se trouver une identité revenait à les essayer...

le 5 janv. 2014

155 j'aime

26

The Truman Show
Jambalaya
9

Quand la vie de Truman capote...

The Truman Show, un film touché par la grâce, de son réalisateur Peter Weir d'abord, qui a rarement été autant au sommet de son talent depuis, de Jim Carrey ensuite, qui a fait taire avec ce film,...

le 10 déc. 2013

155 j'aime

17

True Detective
Jambalaya
9

Les Enfants Du Marais

True Detective est un générique, probablement le plus stupéfiant qu’il m’a été donné d’admirer. Stupéfiant par les images qu’il égraine patiemment, images d’une beauté graphique rare, images sombres...

le 12 mars 2014

153 j'aime

15