Le premier film de Tsai Ming-liang est sans doute aussi son plus académique. Les Rebelles du dieu néon (quel titre !) narre l'existence errante de quatre adolescents dans le Taipei du tout début des années 90.
Contrairement à ses films suivants, Tsai n'hésite pas à adopter un découpage rythmé, sans pour autant complètement quitter le contemplatif, qu'il affectionne particulièrement. La narration est fluide, le scénario suffisamment original pour garder le spectateur en haleine jusqu'à la fin du film. Lee Kang-sheng, qui deviendra l'acteur fétiche de Tsai, incarne un lycéen à la vie bien rangée, qui à la suite d'un événement en apparence "banal" - un jeune casse volontairement le rétroviseur de son père, chauffeur de taxi, en sa présence - va radicalement changer d'attitude et se "rebeller" dans sa façon de vivre.
Le réalisateur s'attache ici à décrire le passage heurté de l'adolescence à l'âge adulte, au sein d'un monde en plein dérèglement. Dans ce Taipei qui respire encore la fin des 80s, le sexe, la drogue, le porno et la prostitution sont omniprésents, rendus inévitables par ces fameux néons qui éclairent la nuit. Hsiao Kang (le héros) y trouve sinon du réconfort, tout au moins une source de fascination, suivant d'un oeil dont on ne sait s'il est envieux ou réprobateur les escapades nocturnes du jeune qui a vandalisé le taxi de son père et de son ami. Les deux s'adonnent à des combines de petite frappe pour vivre au jour le jour, squattant les salles d'arcade. Hsiao se heurte à ce monde masculin et viril qui n'est pas encore le sien, mais qu'il voit comme une échappatoire au cocon familial. On retrouve là une thématique inspirée de La Fureur de vivre, celle de l'adolescent en conflit avec ses parents, et notamment son père, qui perd l'ascendant naturel qu'il serait censé avoir sur sa femme. Tout comme James Dean (dont Hsiao observe d'ailleurs un poster dans la salle d'arcade), le héros du film se retranche au-dehors de la sphère familiale en quête d'une masculinité qui fait défaut au patriarche.
Ainsi Hsiao se met en tête de venger l'affront fait à la virilité du père (le cassage du rétroviseur) par ses propres moyens. Il saccage la moto d'Ah Tze (le vandale), qui prend un tour sexuel et vulgaire (il tague "AIDS" dessus), comme pour se mettre sur un pied d'égalité avec lui, alors que ce dernier fait l'amour à une fille dans le même temps. Ah Tze est aussi traité de manière intéressante, puisqu'il incarne le versant "actif" de cette rébellion, qui va au demeurant entamer une forme de rédemption. Il met sur le compte de la "poisse" ce qui lui arrive mais n'est pas loin quand même de spiritualiser tout ça lorsqu'il se rend compte à la fin que c'est le père de Hsiao qui l'a transporté en taxi avec son ami blessé (la religion joue un rôle intéressant). Ses hésitations sont symbolisées par l'inondation de son appartement, qui a pour origine un trou (encore un) qui se débouche et se rebouche successivement de façon fort symbolique : l'eau est déjà un thème central de ce film de Tsai, l'oeuvre alternant les moments d'averses et d'éclaircies.
Les Rebelles du dieu néon est un film qui cherche à exprimer cet entre-deux que constitue le passage de l'adolescence à l'âge adulte. Les conceptions figées se heurtent frontalement, se fissurent, s'effritent, et évoluent. La porte du domicile familial, laissée un temps close par le père, est finalement entrebâillée ; celle du lieu de rencontre par téléphone, symbole par excellence de la masculinité adulte, est également laissée ouverte par Hsiao qui quitte l'endroit sans décrocher à aucun appel. Le film se clôt sur ce plan de ciel nuageux, état médian entre le soleil et la pluie, entre la paisible insouciance et les dures réalités de la vie.