Les résultats du féminisme est un court-métrage réalisé par Alice Guy en 1906. Certains y perçoivent une charge antiféministe. Rien n’est moins sûr, vu la personnalité et le parcours d’Alice Guy.
Dans cette histoire, les rôles très séparés des hommes et des femmes de cette époque (1906) se trouvent inversés. Les hommes cousent à la machine, vont chercher les enfants à l’école, repassent, tandis que les femmes fument le cigare, boivent au bar, harcèlent les hommes dans la rue. Les hommes ont un comportement que nous jugeons « efféminé », tandis que les femmes ont un comportement que nous pouvons qualifier de « macho ». A la fin les hommes se rebellent et mettent les femmes à la porte du bar brandissant une bouteille en signe de victoire. Ouf ! Tout est rentré dans l’ordre ! Cette représentation est bien sûr complètement caricaturale. Il n’est pas sûr qu’elle vise à discréditer le féminisme, mais plutôt à bousculer les représentations très figées et bien claires de l’homme et de la femme à l’époque. La finale loin d’avaliser cette situation en dénonce peut-être plutôt la triste réalité et la violence, semblant dire : les hommes finissent toujours par reprendre « leur place » !
Et Alice en a fait la cruelle expérience. Première femme réalisatrice au monde, elle a dû cette chance extraordinaire au fait qu’au départ personne ne prenait au sérieux les films de fiction quand elle a proposé d’en réaliser. Léon Gaumont a reçu cette demande comme « un caprice de jeune fille ». Acceptant qu’elle fasse un essai à condition que cela n’empiète pas sur son travail de secrétaire. Ce « caprice de jeune fille » a valu à Léon Gaumont de bâtir un empire ! Loin de lui en être reconnaissant, quand le cinéma a commencé à prendre son essor, Alice devenait embarrassante. Une femme avec autant de responsabilités dans ce milieu devenu sérieux, ça ne faisait pas sérieux ! Éloignée aux USA elle a relancé là-bas sa carrière dans le cinéma. Elle a connu un immense succès. Si elle a finalement été ruinée c’est par la faute de son mari qui avait pris les rênes de la société qu’elle avait créée… De retour en France, elle ne reçut aucun secours de Louis Gaumont qui est même allé jusqu’à rayer le nom d’Alice des catalogues de la société Gaumont ! On ne pouvait décemment laisser à une femme une telle place dans l’histoire du cinéma ! Alors la finale de ce court-métrage, une charge anti féministe ? Ou constatation amère de la dure réalité qu’Alice a expérimenté tout au long de sa vie pour avoir osé réussir, être intelligente, entreprenante, inventive, efficace, brillante, avant-gardiste !
Elle écrira dans ses mémoires :
« j’ai vite compris une évidence. Aussi longtemps qu’une femme reste à ce qu’on appelle sa place, elle ne subit aucune vexation, mais dès qu’elle assume des fonctions généralement réservée aux hommes, on la regarde aussitôt de travers. En France nous sommes des femmes et seulement des femmes. Nous nous trouvons dans un réel état de dépendance et n’avons aucune chance d’exercer nos facultés en toute liberté. Il y a des exceptions bien sûr, mais elles sont rares. L’art est pratiquement le seul domaine qui nous est ouvert ». Il lui fut effectivement ouvert mais seulement en apparence…
Le court-métrage est visible ici :
https://www.youtube.com/watch?v=_MO-LgdE7hE&t
Pour découvrir d'autres films d'Alice Guy, voir ma liste:
https://www.senscritique.com/liste/ALICE_GUY/3187502