Avec Les Sentiers de la Gloire, Kubrick réalise un tour de force majeur pour l'un de ses premiers films.
Il nous livre une oeuvre glaçante de réalisme, explorant à travers le prisme de la guerre les travers les plus sombres de la nature humaine.
La mise en scène soignée -notamment avec ce plan-séquence dans la tranchée au début du film- installe une dimension tragique et une tension au service d'un scénario millimétré.
L'interprétation très juste de Kirk Douglas donne au personnage du colonel Dax toute sa profondeur et sa complexité face à l'insupportable injustice qu'il doit affronter. La droiture et le profond sens moral du personnage surgissent à l'écran dès les premières minutes où il apparaît. Dans cette scène, le rapport de force installé entre Dax et ses supérieurs laisse présager les événements dramatiques auxquels il va devoir faire face.
Le Maître propose une réflexion sur les jeux de pouvoir qui existent entre les hommes, il nous donne à voir le décalage qui existe entre d'un côté les hauts gradés de l'armée qui ont pour seul souci la quête de pouvoir et de reconnaissance et de l'autre les soldats sur le front qui vivent la guerre et remportent des victoires dont leurs supérieurs ne manqueront pas de s'approprier tout le prestige.
Le contexte de la première guerre mondiale est un pretexte pour livrer ce message qui comporte bien entendu une portée universelle.
Le spectateur, dès le début du film, est mis dans la confidence, les motivations qui poussent le général Mireau à mener cet assaut contre la Fourmilière sont exposées dans la scène d'introduction.
Tout au long du film, le spectateur ne pourra ressentir que de l'impuissance face aux tragiques événements qu'il voit se dérouler sous ses yeux. Kubrick pousse le vice jusqu'à nous placer en complice
de l'éxécution des trois soldats, en plaçant la caméra à côté des fusils meurtriers, face aux prisonniers, afin de mettre le spectateur face à ses responsabilités.
Sur le front, l'ennemi n'est pas celui qu'on croit. Les officiers de l'armée française en se rendant responsables d'un lourd préjudice moral à travers cette exécution, font bien plus de mal que les balles en provenance des tranchées ennemies.
La grande émotion ressentie par les soldats lors de la scène de fin illustre à merveille l'inversement des rôles entre "gentil" et "méchant" que suggère Kubrick.
En somme, le diabolique général Mireau et le colonel Dax -seul contre tous, se battant pour ce qui le dépasse- suivent deux chemins inverses :
L'un en croyant servir son ambition compromet très sérieusement sa place dans le commandement de l'armée, et l'autre sauve son honneur par l'attachement obstiné aux valeurs de mérite et de justice, l'amenant logiquement à refuser la perfide proposition du général Broulard à la fin du film.
Le titre Les Sentiers de la Gloire prend alors tout son sens..
Un film complet proposant une vision pessimiste de la nature et des rapports humains, tout en se faisant défenseur de valeurs nobles. Cette dimension équivoque sera d'ailleurs l'un des fils directeurs de la filmographie à venir du Maître.