Mes chers amis, la situation est grave. Je me trouve face à une montagne infranchissable, face à un putain de monstre gigantesque qui ferait déféquer Godzilla dans son falzar s'il en avait un. Mes joyeux compagnons, je tente aujourd'hui l'impossible qui n'est finalement pas impossible puisque je suis français. Aujourd'hui, je parle des Sept Samouraïs. LE chef-d'oeuvre épique par excellence. LE film ultime que je ne revois qu'une fois tous les dix ans tant son visionnage me laisse à chaque fois de sérieuses séquelles. Peu importe le bout par lequel je vais tenter de capturer la bête, je vais en chier.
Quatorzième film d'Akira Kurosawa, Les Sept Samouraïs revient de loin, enfer logistique de près d'un an mené par un cinéaste perfectionniste mais qui accouchera d'un résultat flamboyant, Madeleine de Proust pour nombre de futurs metteurs en scène qui s'en inspireront pour à leur tour, tenter d'atteindre les plus hauts sommets du septième art. Mais ni la météo capricieuse, ni les producteurs inquiets de tels retards, n'arriveront à contrecarrer les plans de Kurosawa, pour notre plus grand bonheur à tous.
A la fois fasciné par les vieux westerns américains qu'il ingurgitait quand il était môme, et par le folklore de son propre pays, Akira Kurosawa s'inspire du théâtre Nô et construit son film à partir des trois temps qui le composent, à savoir le Jo (prologue), le Ha (rupture) et le Kyu (accélération), prenant son temps afin de mettre en lumière tous les tenants et aboutissants d'une histoire simple et universelle, mais qui fera passer le spectateur par énormément d'émotions.
Car si Les Sept Samouraïs reste ancré dans une certaine tradition, il n'en reste pas moins un spectacle incroyablement moderne. En équilibre constant, le film multiplie ainsi les ruptures de ton, passant du rire aux larmes, de la romance à la tension avec une maîtrise qui subjugue encore aujourd'hui. Formellement aussi, Les Sept Samouraïs n'a rien d'une oeuvre sentant la naphtaline. Bien au contraire, Kurosawa impose un rythme soutenu, ausculte le Japon du XVIème siècle avec le regard d'un véritable historien, ne cachant absolument rien de la société de l'époque. Bénéficiant d'une photographie sublime et de la puissante partition de Fumio Hayasaka, Les Sept Samouraïs ressemble à une véritable toile de maître, Kurosawa composant des plans magnifiques, tout en jouant magistralement avec le montage, captant la mort dans toute sa funeste beauté.
Il ne faut surtout pas oublier le casting impeccable du film, élément indispensable à sa réussite. Qu'il s'agisse du sage et stratège Takashi Shimura, du jeune Isao Kimura, du bon vivant Yoshio Inaba, de l'ancien bras-droit Daisuke Katô, du curieux Minoru Chiaki ou du sabreur Seiji Miyaguchi (inspiré de Miyamoto Musashi), ils sont tous attachants et parfaitement croqués, tout comme les villageois, pris en étau entre leur pauvreté quotidienne et les bandits sanguinaires venus rafler leurs récoltes. Mais celui qui restera à jamais gravé dans notre mémoire, qui bouffe la pellicule dès qu'il apparait, est bien entendu Toshiro Mifune, grande gueule complètement folle, presque anachronique, le cul entre deux époques, entre deux mondes. Deux voies différentes, dont une seule sortira vivante comme le montrera un final doux amer absolument grandiose.
Chef d'orchestre d'un spectacle au souffle épique indéniable tout autant que témoin d'une cassure dans l'histoire de son pays, Akira Kurosawa ajoutait avec Les Sept Samouraïs un chef-d'oeuvre de plus à sa filmographie, une ode magnifique et funèbre à la liberté, un putain de grand film où se mêlent action, aventure, critique sociale, humour et même romance, dans un foisonnement d'invention et de talent qui me laisse à chaque fois sans voix.