On sent quand même que le cinéma de Kurosawa rentre enfin dans une nouvelle dimension avec ce film.
On délaisse temporairement les petits (mais très longs) contes moraux (le duel silencieux, scandale, l'idiot, vivre, que j'ai trouvés particulièrement redoutables), franchement assez lourds, pour enfin faire un putain de divertissement, et ça fait beaucoup de bien.
Globalement tout prend de l'ampleur, la mise en scène, l'ambition, la durée, la maîtrise du récit, et du coup on ne voit pratiquement pas ces effrayantes 3h30 passer.
Je ne vais pas faire une critique exhaustive du film, d'autres ici l'ont déjà très bien fait, mais juste souligner quelques éléments qui m'intéressent particulièrement.
D'abord la place de l'interculturel.
Le premier truc qui me frappe dans ce film, c'est que les types rigolent beaucoup.
Déjà c'est rare jusqu'à présent dans le cinéma de Kurosawa, il faut dire qu'on se marre pas des masses, c'est souvent hyper sérieux, et parfois un peu plombant.
Là non, il y a un esprit bon enfant très communicatif. Mais surtout, ils ne rigolent jamais au moment où je l'attends, presque toujours à contretemps, à des moments où il ne s'est strictement rien passé de spécialement drôle, ou alors après des "vannes" qui tombent à plat et qui n'ont rien de comique en soi, enfin du moins pour mon esprit occidental étriqué.
Du coup, dans un premier temps, j'avoue être un peu perplexe, et puis petit à petit, je m'y fais, je m'y adapte, et je finis par rire comme un couillon avec eux.
Ensuite, le jeu des acteurs. Ils ont globalement un débit de paroles très rapide, assez agressif, et d'une très forte intensité. Concrètement, les mecs gueulent même lorsqu'il s'agit de demander un bol de riz.
Le pire, c'est Toshiro, même dans Rashomon il ne surjouait pas à ce point, tel un bison sauvage relâché dans la nature, il fulmine, il bondit, il sautille, il grogne, il grimace, et ce sur chacune de ses apparitions.
Et le pire, c'est qu'il parvient à ne pas être exaspérant alors qu'en plus il passe les 3/4 du film les fesses à l'air, si ça c'est pas du charisme...
Par contre, étonnamment, Takashi Shimura, l'autre acteur fétiche de Kurosawa, qui joue ici le big boss, le fin stratège napéolonien qui va diriger d'une main de maître ses samouraïs, et de fait tout le village, est très sobre.
Alors que d'habitude il a une sinistre tendance a en faire des caisses (en général en jouant des rôles misérabilistes assez insupportables et épuisants, où il manie ses gros yeux embués face caméra pour émouvoir ou insupporter le spectateur selon son degré de bienveillance). Il est ici absolument parfait et crédible (alors que quelques mois plus tôt il faisait bien de la peine en vieux cancéreux pathétique dans le film "vivre").
Vous additionnez ces éléments-là, et à la fin, j'ai l'impression fascinante d'être dans un autre monde, sur une autre planète, avec d'autres codes. Et tout ce qui m'exaspérerait n'importe où ailleurs (dont ce jeu très expressionniste), finit par réussir à fonctionner complètement et à me captiver. (Autre exemple du genre, Ran).
Ensuite, ce qui est quand même très chouette, c'est qu'enfin, le récit est à la fois très simple (un village/ des bandits qui vont arriver / des samouraïs à recruter en ville pour se défendre / L'élaboration d'un plan de défense / Les affrontements dantesques) et très efficace, là où les précédents films de Kurosawa étaient à mon goût un peu laborieux (manque de rythme, scenars confus qui n'avancent pas, lourdeurs, redites).
Et surtout, Kurosawa s'amuse vraiment. Le plaisir ludique on le ressent notamment lorsque le stratège Shimura se balade aux alentours du village, carte à la main, pour élaborer toute une série de stratégies (comme quand je préparais des pièges dans un "poule-renard-vipère" en pleine forêt pour vaincre des morveux de 12 ans, lorsque je passais le diplôme du BAFA) : créer des douves, des barrages, sacrifier des maisons, préparer une attaque secrète... ! And co...
Même l'idée du tableau où l'on coche le nombre de morts ennemis et qu'on met à jour après chaque vagues d'assaillants, est géniale... On est vraiment dans l'archétype du cinéma d'aventure fun et sympa comme tout.
Mais ce qui m'a le plus plu, c'est l'aspect tactique du combat, très mis en avant.
(alors bien sûr, on pourra rétorquer que les bandits sont quand même un peu cons, qu'ils ne réfléchissent pas des masses, et qu'ils tombent dans toutes les feintes un peu grossières, ce serait parfaitement défendable, mais on s'en fout un peu, c'est un film!)
Shimura "il faut toujours un point faible dans une forteresse pour mieux cueillir l'ennemi!"
L'idée même de faire rentrer petit à petit les ennemis dans le village, pour fermer l'entrée par la suite, et ainsi pouvoir les encercler pour mieux les massacrer un par un, est magistralement mise en scène, et d'une lisibilité imparable.
Enfin, des batailles épiques (montage percutant, nerveux), jouissives, et surtout intelligibles !!
C'est ce que je reproche à la plupart des films d'aventures qui comportent des scènes de batailles, de l'aigle des mers de Curtiz, au Seigneur des anneaux de Jackson.
Ca n'est pas lisible!
On n'y comprend rien!
Tout ce que l'on voit, c'est des quidams qui se tapent sur leurs épées pendant de longues minutes, en attendant que ça se passe, et moi ça m'emmerde.
Bien sûr, je ne dis pas qu'une bonne bataille doit nécessairement être lisible. Mais il faut un contrepoint pour compenser l'absence de lisibilité, une ambiance particulière, une dimension poétique, quelque chose qui vient donner un intérêt particulier, autre que juste de voir des mecs se taper sur la tronche.
Je pense forcément à Croix de fer, où c'est peut-être le plus grand chaos jamais réalisé, c'est charabiesque comme pas permis, les tanks sortent de tous côtés, ça pète de partout, les cadavres pleuvent, et c'est magistral.
Excalibur, où l'aspect poisseux, la boue, les armures scintillantes, les lances ravageuses marquent à jamais.
Ran, que j'ai vu aussi tout récemment, où l'on rentre carrément dans un film muet absolument fascinant, avec un jeu sur les lumières, sur la fumée, sur les couleurs totalement hallucinant et inoubliable.
On y ressent de la vie, de la passion, de la furie, de la mort nécessairement, enfin tout autre chose que des chorégraphies familiales et gentillettes sur fond vert (dédicace aux batailles du seigneur des anneaux).
Pour chipoter, je pourrai reprocher une ou deux longueurs aux sept samourais (notamment avec la nana un peu inutile, et le disciple au charisme de moule, mais c'est voulu). Mais globalement, c'est un film assez bluffant, et une petite merveille d'aventure, dont l'ampleur me donne rétrospectivement un souvenir un peu ringard des sept mercenaires, qui me paraît être un tout petit film à côté.