Un Ozu mineur n'existe pas
Par Fabrice Prieur, un cinéphile invétéré qui publie régulièrement d'enthousiasmantes critiques sur des grands classiques connus ou moins connus dans des groupes et sur son profil...
le 16 juil. 2024
7 j'aime
Il me semble qu'on a connu Ozu plus saillant, perspicace et percutant sur ce segment cinématographique du regard posé sur la société japonaise, un motif d'ailleurs particulièrement récurrent chez le cinéaste, c'est-à-dire une nouvelle fois la contemplation d'une opposition sociale et sociétale entre le Japon d'hier et le Japon d'aujourd'hui, encore une fois observé ici à l'aune des relations familiales. "Les Sœurs Munakata" avance à visage découvert : le titre l'annonce sans ambages, le contraste proviendra de la différence de comportement très franche entre les deux sœurs Setsuko et Mariko. La première est la représentante de la tradition (elle est placide, toujours en contrôle, elle porte les vêtements traditionnels, elle a une vision très rigide du foyer et de l'amour) et la seconde épouse un mouvement infiniment plus moderne (elle est plein de fougue, elle veille à son indépendance, elle ne se repose plus sur les vieilles valeurs de la famille, ses habits sont modernes et elle fait sans cesse des grimaces). Sur ce canevas un brin forcé, mécanique dans ses articulations, Ozu appose un mélodrame avec la délicatesse qu'on lui connaît qui ne déviera pas du sillon amorcé en introduction.
Étonnamment je trouve que ce drame familial n'a pas la puissance d'autres films de Ozu qui pourtant semblent vraiment très proches. Beaucoup d'ingrédients sont identiques, le duo composant la sororité est quand même assurée par deux grandes pointures de l'époque, Kinuyo Tanaka (fidèle de Mizoguchi) et Hideko Takamine (fidèle de Naruse), on a même droit au joker "Chishû Ryû" dans le rôle du patriarche qui attend sereinement la mort (avec un effet un peu trop appuyé à mon goût quand même, au travers de ce médecin qui demande à ce qu'on ne lui annonce pas qu'il lui reste quelques semaines à vivre : c'est une injection un peu trop violente de pathos). Sur le versant plus positif Ozu filme les traditionnels décors intérieurs où l'on s'assoie sagement sur un tatami entre deux pans de mur à des distances savamment étudiées, auquel il ajoute des décors plus originaux, temple de la mousse à Kyoto, villa de montagne à Hakone, temple Yakushiji près de Nara... Il y a aussi la question des violences conjugales qui à un moment du récit surgit sans qu'on n'ait pu l'anticiper, par l'entremise d'une série de gifles administrées par le mari chômeur et alcoolique, moment surprenant. Bref, du Ozu très attendu, très agréable à regarder, doux et minutieux, mais sans folle empathie.
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Créée
le 2 avr. 2024
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2 commentaires
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