Les Survivants, premier film d’un jeune réalisateur, Guillaume Renusson, était très attendu… D’abord parce qu’il promettait de traiter le « problème » des migrants de manière moins didactique, moins donneuse de leçons, que la plupart des films français l’ayant précédé, en adoptant un programme de thriller, voire de western, comment certains critiques l’annonçaient. Ensuite parce qu’il réunissait deux acteurs ayant marqué les esprits en 2022, Denis Ménochet (As Bestas) et l’Iranienne Zar Amir-Ebrahimi (les Nuits de Mashhad).
Samuel est un homme brisé par un accident de voiture qu’il a causé, tuant sa femme et le laissant lui-même avec une jambe abimée en dépit de longs mois de rééducation. Rongé par la culpabilité, il lutte au quotidien pour élever seule sa fille, jusqu’à ce qu’il décide de retourner pour la première fois en Italie, de l’autre côté de la frontière, dans un chalet où l’on imagine qu’il a vécu des jours heureux avec son épouse. C’est là que sa route va croiser celle d’une migrante afghane, Chehreh, obligée de fuir les Talibans pour avoir collaboré avec les Français durant la guerre. Elle a perdu son mari au cours de son long périple, et tente de gagner Briançon en passant à travers la montagne. Il va peu à peu être entraîné à l’aider dans cette épreuve, qui va s’avérer terrible : aux dangers de la haute montagne en hiver s’ajoute leur traque par un trio franco-italien de jeunes fascistes…
La première scène – l’évacuation par la police italienne d’un refuge de clandestins – montre que Renusson sait filmer la violence, la tension, et le mélange des deux, avec un juste équilibre entre réalisme et spectaculaire. Ce talent indéniable va porter dans le film toutes les meilleures scènes, celles qui ressortent du genre « thriller », et qui opposent les deux fugitifs à leurs poursuivants. Adoptant même, dans la longue scène de l’hôtel, les codes du film de « home invasion » avec un bonheur certain.
C’est dans le reste que les Survivants pèche, et déçoit largement : son principal problème est l’aspect très hollywoodien de son scénario, que l’on peut trouver habile, mais qui est en fait très convenu, qui fait du geste de Samuel – essayer de sauver cette migrante en danger qu’il ne connaît pas – une manière de se racheter (ah, la rédemption, vieille scie du cinéma US pétri de christianisme) et de faire son deuil, pour pouvoir finalement revenir à la vie, à sa famille. Entre l’anorak de la disparue qui protégera Chehreh du froid mortel, et sa carte d’identité qui la sauvera d’un contrôle de police, on voit venir Renusson de loin. Un autre gros problème est son choix de n’utiliser Ménochet que pour ce qu’il représente désormais dans l’esprit du spectateur : un bloc de silence brut qui cache une grande fragilité. Soit un pur cliché, accentué par un mutisme ici exagéré, voire irritant, qui artificialise plusieurs scènes du film. Quand on repense au travail formidable de Ménochet dans Jusqu’à la Garde, on réalise le gâchis qui est fait ici de son talent.
Reste la partie la plus problématique des Survivants, ces fameuses scènes de lutte contre les dangers de la montagne, qui devraient être le cœur du film, et qui ont fait parler de « western » à certains cinéphiles trop enthousiastes. Avec sa musique qui menace et surligne, avec son souci de toujours rappeler la grandiose beauté des lieux, Renusson échoue à nous faire ressentir physiquement l’épreuve que vivent les deux protagonistes : les Survivants reste au niveau de l’illustration du danger, finalement trop confortable pour le spectateur, qui n’est jamais réellement empoigné par le drame.
Si l’on osait donner à Renusson un conseil pour la suite, ce que nous ne ferions jamais, bien entendu, on lui dirait de creuser pour son second film la veine du film de genre, du thriller pur et dur, pour lequel il démontre ici un talent certain. En attendant, reconnaissant que les Survivants est l’un des bons films de ce début 2023, il est juste en deçà de nos attentes.
[Critique écrite en 2023]
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