Plus de vingt ans après son adaptation de Le Manuscrit trouvé à Saragosse, Wojciech Has s'attaquait à Les Tribulations de Balthasar Kober, autre roman picaresque, pour son ultime mise en scène. Réputé pour son univers onirique ou surréaliste, souvent marqué par le thème du voyage ou de l'inadaptation au réel, on ne s'étonnera donc pas que le réalisateur polonais aimât régénérer par deux fois ses sources d'inspiration dans ce genre littéraire à la structure libre, favorisant les histoires à tiroirs et propice aux rebonds de l'imaginaire.
Nous voici donc plongés dans l'Allemagne du XVIème siècle en proie aux épidémies ainsi qu'aux persécutions religieuses. C'est dans ce contexte que Balthasar, jeune homme orphelin, bègue et introverti, se verra envoyé auprès du sombre recteur de Dresde (Daniel Emilfork !) pour suivre des études de théologie avant de trouver sa voie aux côtés, entre autres, d'un maître alchimiste bonhomme et rassurant interprété par le mystique Michael Lonsdale que j'ai toujours grand plaisir à retrouver. Son chemin sera également marqué par ses échanges avec avec une troupe de théâtre ambulant conduite par le tout en plumes "Papagallo", acteur libre penseur, et sa séduisante joueuse de luth Rosa, quelques étudiants malveillants, un noir capteur d'âmes ou encore un moine habitué à trouver refuge dans les maisons de plaisir. Toutes ces rencontres baliseront l'itinéraire de son initiation dans un mélange de merveilleux, d'occulte, de légère sensualité et de dialogue permanent avec la mort, l'au-delà, les anges. La particularité de la démarche de Has sera alors de faire cohabiter tous ces éléments dans une esthétique rappelant les peintures du début du baroque (c'est le site de la cinémathèque polonaise qui le dit !) mais flirtant aussi avec un léger penchant inavoué pour le kitsch. Ainsi, on appréciera ces habitations aux sols jonchés de feuilles ou de pommes, ces vieilles pierres éventrées aux airs antiques, gagnées par la végétation et éclairées à la bougie ou par une artificielle lumière pourpre. De son côté, à la manière du songe, sa narration n'hésitera pas à enchaîner les événements sans connexion logique et sautera de tableau en tableau sans s'attarder sur un besoin de cohérence de toute façon superflu. Nous sommes après tout certainement dans un rêve, celui de Balthasar mené à Jérusalem par l'archange Gabriel pour visiter les prophètes, ou peut-être tout aussi bien dans un autre rêve encore...
Parfois considéré comme désuet, brouillon, ennuyeux, ce dernier projet de Has semble avant tout demander au spectateur de se laisser aller à suivre une route sans destination clairement indiquée en s'adressant en priorité à son âme d'enfant encore prête à déceler le charme un peu naïf de ce monde fait de visions protectrices, de rencontres enchanteresses, d'épreuves sans grande douleur et de féerie, même funèbre. C'est un conte où, omniprésents, le deuil et la mort ne sont jamais abordés de façon plombante, accablante, un conte où les anges ont remplacé les génies, où l'imagination surpasse toutes les magies.
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