Dans ce singulier sport local qui consiste à tronçonner avec euphorie toutes les productions nationales, D’Artagnan se retrouve pris en tenaille : en face, l’armée des rageux bien déterminés à conchier le cinéma hexagonal, quoi qu’il en coûte, en exigeant de lui qu’il ait de l’ambition pour mieux l’humilier face à ce qu’ils pensent être l’étalon mètre du blockbuster, à savoir le robinet à eau tiède d’Hollywood ; sur le flanc gauche, les lettrés, garants du matériau littéraire et tenanciers d’un ordre ancien, où l’on savait faire du vrai cinéma à renforts de collants et de technicolor.
Le film a donc décidé d’avancer à fleuret moucheté, et de tenter de se faire haïr le moins possible : jusque dans la grisaille brunâtre de la photo, rien ne semble devoir choquer, même si l’on retrouvera bien un ou deux scuds expédiés depuis le territoire ennemi qui pourront sérieusement ébranler la gaul(l)e rêvée par les droitards, à qui quelques leçons d’Histoire ne feront jamais de mal.
Les trois mousquetaires a finalement une ambition néo-classique, et l’idée n’est peut-être pas si stupide que cela : l’envie de renouer avec un cinéma grand public, ample et épique, dénué de second degré ou de clins d’yeux poussifs à l’époque, quitte à demander du spectateur à jouer le jeu lorsqu’il s’agit d’intrigue, de coïncidences extraordinaires, de romances gentillettes et de complots prévisibles.
Le véritable constat, c’est qu’on se dit à de nombreuses reprises que ça aurait pu être terriblement pire, à une époque où l’on veut à tout prix coller à l’air du temps, par le recours à des combats empruntant à d’autres influences (cinéma asiatique, jeu vidéo…) ou une esthétique se voulant contemporaine, et destinée à vieillir avant même la sortie du film. Ici, la prudence est aussi le gage d’un véritable soin à l’ouvrage, notamment dans la direction artistique, des décors soigneusement sélectionnés dans le patrimoine local, des costumes ouvragés et des figurants par centaines dans des rues ou des châteaux qui favorisent une immersion crédible. Le souffle d’un Rappeneau n’est pas loin, c’est en tout cas le modèle qui semble à suivre, et qui ne l’atteindra malheureusement pas à la cheville en termes de direction d’acteurs, la quasi-totalité du cast semblant particulièrement mal à l’aise dans le faste et l’ampleur à l’ancienne qu’on exige de lui. La faute, peut-être, à des dialogues qui ne parviennent pas à trouver le point d’équilibre, oscillant pour Civil entre une littérature mal appropriée (« N’avez-vous jamais aimé ? ») et la dragouille contemporaine d’un Reel Insta. Même la fantastique Vicky Krieps semble ici inappropriée, comme s’il était impossible de rendre crédible le premier degré, elle qui a encore récemment donné accès aux coulisses peu reluisantes de la vie de Sissi… La faute, aussi, à un problème d’équilibre dans un film qui s’offre le temps (4 heures réparties sur deux volets) mais ne parvient pas à le distribuer, réduisant certains personnages, dont ceux de Duris et Marmaï, à une portion congrue, ce qui est fort regrettable face au potentiel de comique et de forfanterie qu’on pouvait attribuer à leur caractère.
On pourrait aussi s’acharner à dézinguer quelques séquences d’action, qui s’embourbent dans des plans-séquences en caméra à l’épaule dont la lisibilité devient problématique, mais ce serait là aussi de l’acharnement visant à annihiler tout le courage de Bourboulon à vouloir se frotter à un cinéma plus dynamique.
Le cinéma reprend des couleurs : le public revient, et la production nationale ose certaines propositions nouvelles et risquées, comme le retour du film de cape et d’épée. La meilleure façon de considérer cette tête de gondole est peut-être là : dans sa capacité à dépenser avec sérieux ses millions, en ne prenant pas les spectateurs pour des pigeons, afin de les faire aimer à nouveau la salle.