"Mon cher Torpenn,
Je sais que tu es impatient d'entendre tout ce qui s'est passé depuis que nous nous sommes quittés au dernier ciné-club.
En arrivant chez Labrador, je trouvai un Paul maigre, pâle, et apparemment dans un grand état de faiblesse. Il n'avait plus dans les yeux ce regard résolu; et cette culture cinématographique qui fait l'admiration de tous semblait s'être évaporée, malgré le confort moderne dont il est maintenant équipé.
Il nous a projeté un film étrange, avec des acteurs très laids. On y voyait des palmiers au pied de Notre-Dame en plein Paris, un savant fou qui pratiquait la transfusion sur des jeunes femmes pour absorber leur jeunesse, un château de carton pâte plein de lustres immenses, avec un passage secret dans la cheminée, une femme qui vieillissait à la moindre contrariété, un tombeau sur lequel les dates gravées n'arrêtaient pas de changer.
Le pauvre homme voulait parler, mais il est retombé sur sa chaise, épuisé.
Pruneau, déconfit, ne semblait pas plus vif. Fou ou sain d'esprit, je ne sais, il prétendait avoir déjà vu le film, et n'arrêtait pas de se lever pour regarder par la fenêtre.
Senscrit, comme possédé, passait son temps à répéter "elle va montrer ses seins !" Dans son délire, il parlait de choses absolument effrayantes.
Je dois te quitter, je vais mettre cette lettre à la poste, je t'écrirai encore bientôt.
Je me fais beaucoup de souci, reviens vite."