On note parfois les grands films à la trace mémorielle, à ce parfum tenace qu'ils laissent les jours qui suivent et sans doute même les années. Nul doute que cela soit aussi lié à la qualité de la rencontre entre les deux protagonistes.
Si les premières minutes ont l'air presque ordinaires, bien qu'un plan du petit pont et de l'eau qui passe dessous nous mette la puce à l'oreille sur un regard, une capture du temps et des choses qui pourraient doucement faire leur part aux rythmes du monde et des sentiments qui nous lient à lui.
Dès qu'elle apparaît, la grâce coule comme un ruisseau et le film se règle sur le rythme de ses pas, qui ont besoin de nouvelles chaussures tous les jours et du nouvel apprenti pour faire danser les rues de Lisbonne au gré de leurs rêves d'amour ou d'ennui tendrement rempli d'espoirs incertains.
Rocha filme les promenades comme un musicien écrit une suite de danses. Autant pour la vue que pour l'oreille, autant pour que les jambes d'Ilda nous obsèdent autant qu'une danse que pour son visage inonde la ville de tous les sentiments qu'ils répriment encore.
À trop réprimer peut-être d'ailleurs, ils ne savent pas trop pour quoi ils se fâchent, pourquoi ils se retrouvent à aller chercher un gilet sans importance tombé dans la boue, mais nous, nous savons alors que nous sommes depuis une heure devant quelque chose qui n'a pas sa pareille pour faire parler l'âme d'un pays et de ceux qui tentent de s'y aimer et s'y projeter et qui n'auraient demander qu'à traverser la ville et le fleuve un peu plus souvent pour voir le monde, le seul monde dans lequel ils vivent et dansent sans le savoir, que leurs pas soient à l'unisson parfait ou en canon, en imitation complexe et un peu fâchée. (Scène fabuleuse de la promenade à quatre où chacun a son rythme propre.)