Cette critique contient quelques éléments qui dévoilent l'intrigue et sa finalité.
Voici un film remarquable sur l’incommunicabilité. L'introduction appelle à une possible escapade, une porte de sortie, peut être un renouveau, avant même le développement de l'histoire principale. Elle indique une fin qui pourrait donner du relief à l'ensemble. Mais tout restera linéaire, se terminera en boucle, avec une fatalité tragique. L'intrigue ne sera pas dénouée. La rencontre attendue qu’une parenthèse. Le personnage central, joué par l’épatant Anthony Hopkins, est victime de ses fonctions, de son savoir-vivre, et pareil à un homme catatonique : il a beau s'exprimer, c'est comme s'il ne disait rien. C’est un être formel et anhédonique (incapacité à ressentir du plaisir), victime d'alexithymie (difficulté à reconnaitre ses émotions et celles des autres). Tout est signifiant (et insignifiant) mais quasi rien n'est signifié. Il n'y aucun sous-entendus marquants, peu de langage du corps. Il vit sans fougue, dans une sorte d’abolition des passions possibles. C'est la façon dont il conçoit son rôle de majordome qui fait autorité chez lui, et qui bâillonne ses aspirations, son individualité, ses envies, son identité, sa personnalité qui ne peut s'affirmer, se libérer, respirer, étant comme soumis à sa classe sociale. Avec la progression du nazisme en toile de fond, sa neutralité ne le rend ni bon ni mauvais. On ne peut attendre une réaction de sa part, juste de la discipline. On sent pourtant chez lui un espoir, l’attente d’une récompense, mais elle ne peut arriver que s'il devient acteur et non spectateur de sa propre vie. C'est une passivité chronique. Une scène clef montre Emma Thompson se rapprocher à un centimètre de lui avec espièglerie (la distance de l'intime, de la vie privée, de l'insécurité.) Il se retrouve alors vulnérable. Elle constate qu'il lit des romans à l'eau de rose, ce qui prouve qu'il vit par procuration sur le sujet. L’œuvre agit donc comme une focale, sur un milieu d'abord, mais surtout et avant tout sur une solitude perpétuelle, et refuse d’être une simple fresque historique. Elle fait penser, dans une époque plus contemporaine, à Un cœur en hiver de Claude Sautet, qui renvoie à la même structure psycho-affective. Par son compte rendu implacable sur les conséquences de la démystification de l’union, de la romance, Les Vestiges du jour fini par être un hymne à l’amour. Le héros regardera, avec mélancolie, un pigeon prendre son envol, symbole d'une liberté qu'il n'aura jamais eu, en ayant conscience de tout ce qui lui a échappé.