S’inscrivant sans fioriture dans la mouvance dépressive du nouvel Hollywood, Elia Kazan parvient, en dépit d’une économie de moyens spartiate, à faire de son film un uppercut vicieux en jouant malicieusement sur les paradoxes qui caractérisent l’être humain. Du père fricotant avec les loups qui viennent d’investir sa bergerie, allant jusqu’à renier la chair de sa chair, une descendance qu’il juge indigne de sa lignée, à la petite amie trop sure d’elle et moralisatrice à ses heures, qui se laisse prendre au jeu de démons qui n’évoluent pas dans la même cour qu’elle, les personnages peuplant Les visiteurs sont peu nombreux mais d’une présence magnétique. Les séquences s’enchaînent, chacune plus impalpable que la précédente, pour construire un rapport de domination qui ne fait que changer de main.


Si l’exercice est particulièrement réussi quand il s’agit de faire tourner la carte du salopard toute catégorie, à l’heure de conclure, l’exécution est plus troublante. Au moment où les rescapés d’un match trop arrosé se mettent à écrire le dernier acte, deux sentiments se livrent bataille. A commencer par une effrayante indifférence : que ce dénouement brutal soit la suite trop logique d’une trame narrative qui a tout fait pour lui dérouler le tapis rouge le rend encore plus difficile à encaisser. D’où un retour réflexif qui remet en perspective cette supposée indifférence : impossible de finir le film sans penser longuement à ses dernières minutes. Alors que l’horreur de la situation aurait été digérée plus facilement si elle avait initié le film, pour tenter de désamorcer la situation par la suite, conclure par ce moment d’un désespoir absolu, alors qu’il a été plusieurs fois question de son évitement pendant la séance, rend sa symbolique encore plus dévastatrice.


D’autant plus que le dernier plan enfonce violemment le clou : voir les deux agneaux qui viennent de se faire tordre l’âme par une meute de loups aux états d’âme changeants, accepter leur pauvre sort sans soubresaut de révolte est totalement désarmant. Du désespoir qui transparaît de ce salon qui n’aura jamais été éclairé de façon satisfaisante se nourrit l’impuissance d’un spectateur laissé à sa propre réflexion. Les visiteurs est un film particulièrement impalpable qui reste en tête pendant un bon moment même s’il n’inspire pas forcément que du positif lorsqu’il est question de le quitter.

oso
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le 3 déc. 2015

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