Parmi les petites perles tombées dans l'oubli, Les visiteurs en est l'une des plus incontournables, tant elle révélait de grands acteurs et continuait d'affirmer un grand réalisateur. James Woods et Steve Railsback étaient parfaitement inconnus, et si le nom de l'un est devenu célèbre du monde entier, celui de l'autre aura eu beaucoup plus de mal à s'imposer, bien qu'il fut la star de Lifeforce l'étoile du mal. Cependant ce dernier est revenu un peu sur les devants de la scène grâce à quelques productions indépendantes du cinéma d'horreur (Ed Gein, Plaguers), genre duquel il n'aura que peu su s'extirper, le condamnant plus tard à rejoindre The Asylum (pour Le seigneur du monde perdu, pastiche de King Kong).
Mais revenons-en au film en lui-même, huis-clos angoissant comme rarement l'on en aura vu. Une histoire simple, un couple vit chez le père de la compagne, et deux anciens potes de régiments viennent rendre une petite visite à notre ancien bidasse. Les choses se dévoilent peu à peu, ces potes n'étant pas des amis, mais des sortis de prison ayant commis un viol doublé d'un meurtre et voulant se venger de celui qui les a dénoncé. Impossible au personnage de James Woods de savoir sur quel pied danser, et tout au long de l'oeuvre son côté pacifiste est mis en avant, ainsi que sa propre remise en question, s'esquissant au maximum afin d'éviter toute animosité. D'un côté le poids de deux hommes dont on pense connaître les intentions, et de l'autre un beau-père complètement crétin étant davantage du côté des visiteurs, ce genre de dérapage étant, pour lui, commun en période de guerre. Axée psychologie, la mise en scène est quelque chose de phénoménal, instaurant un climat oppressant. Le spectateur s'interroge alors que les scènes mettant mal à l'aise s'enchaînent, et jusqu'aux dernières minutes son souffle est retenu, car même s'il se doute de la finalité, il reste crispé tant l'atmosphère pesante que vivent les protagonistes nous est communiquée de façon presque palpable.
Bref, Les visiteurs est sans aucun doute un chef d'oeuvre, véritable démonstration de mise en scène de génie, de renouvellement des situations, et évidemment d'interprétation. Impossible d'oublier Woods dans son rôle de personnage qui s'efface, et en plus de vivre sous le toit d'un réactionnaire, se retrouve subitement face à un trio décérébré et dénué de toute morale, ni même Railsback, parfait, son visage d'angelot au regard sombre lui donnant des airs de démon totalement imprévisible.
La bobine pourrait être comparée aux revenge-movies de l'époque, mais il n'en est rien, tant Elia Kazan se concentre d'abord sur la mise en scène et le sentiment de malaise, et en bon réalisateur qu'il est (Oscarisé pour son film Sur les quais) n'a jamais recourt à la violence graphique, les brefs instants de cruauté étant toujours occultés. Evidemment, l'auteur ne s'arrête pas là, et nous sert également un profond et subtil récit anti-militariste, furieuse critique à l'encontre de la seconde guerre mondiale et celle du Viêt-nam, qui était encore d'actualité à l'époque (1972).
A noter également que l'oeuvre, bien que fictive, s'inspire d'un fait divers, que Brian De Palma aura d'ailleurs réutilisé dans Outrages, remettant ces événements en scène (rare film à mettre en avant le talent d'acteur de Michael J. Fox).
Mention spéciale à Elia Kazan, qui à une époque où les films affichant d'incessants viols étaient légion, est venu nous offrir avec cet avant-dernier film une pellicule qui est une sublime illustration de ce qu'il faut et ne faut pas faire pour réaliser un métrage intelligent et saisissant, chose que beaucoup auront oublié, préférant souvent la facilité de la violence graphique que l'inventivité.
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