Morts-vivants

70 ans, c'est finalement court pour se remettre d'un trauma si accablant que porter le poids du crime le plus monstrueux de l'Histoire moderne. Mais à l'échelle d'une histoire de cinéma, c'est beaucoup de ressassement et de répétition. C'est pourquoi on est si déçus lorsque, après un début plutôt captivant suivant le parcours de Sita, jeune documentariste pistant les marginaux sociaux, Les Vivants (cinquième film de Barbara Albert) s'empresse de justifier ce militantisme par la conscience d'une culpabilité familiale, incarnée par un grand-père en fin de vie dont elle découvre le passé de colonel SS. Banalité du mal, charriage d'un passé douloureux, conflit face à une famille dans le déni silencieux : le film traite habilement cet air connu par le prisme de la mise en abyme documentaire, mais semble aussi cruellement conscient que, trop expiée, la faute a perdu de sa vertu cathartique. Alors les lourdeurs, maladie héréditaire, love-story avec un Israélien, se succèdent pour combler la redite, et Les Vivants perd de plus en plus de vue l'ancrage contemporain de son devoir de mémoire en milieu étudiant et dans un Berlin souterrain (belle B-O, rehaussée d'hymnes underground signés Caribou ou EMA), qui offrait tant de belles promesses, pour aboutir sur un retour aux camps où l'originalité de l'héroïne finit par se diluer complètement, Sita redevenant le visage anonyme d'une culpabilité inguérissable. The Dead and The Living, dit le titre original : Barbara Albert met tant de vitalité et de sincérité à filmer les seconds que l'on regrette qu'elle n'ait pas pris le parti salutaire de laisser les ignobles premiers brûler une bonne fois pour toutes en enfer.