Le magicien qui ouvre le bal et nous entraîne dans l’univers du premier long-métrage conçu et réalisé par le duo Anne-Laure Daffis et Léo Marchand donne le ton : fort accent italien, optimisme inébranlable, Popolo (auquel Carlo Boso, ancien Directeur du Festival de Venise, prête sa voix) est le premier maillon d’une farandole de personnages tous plus fous et excentriques les uns que les autres.
Il faut préciser que, dès la forme, le duo de réalisateurs, bien rodé sur plusieurs courts, affirme hautement sa propension à prendre le large, afin de s’affranchir des cases déterminant les genres et les techniques. Ainsi l’animation, par Anne-Laure Daffis, au trait si libre et singulier, se superpose-t-elle à des images réelles (prises de vues, découpes de catalogues, images d’archives…), brouillant la frontière entre le dessin animé et le cinéma classique, personnages de fiction et visages fournis par la réalité. Les genres viennent aussi en farandole, puisque le burlesque, la comédie, donnent brièvement la main au cinéma de genre, avec l’épisode de la femme coupée, puis au portrait plus psychologique, avec l’intéressant Monsieur Demy, tout en ne se refusant pas quelques coups d’œil du côté du cinéma social, avec la vie d’un supermarché ou encore les aperçus de Pôle Emploi, joyeusement rebaptisé Paul Emploie !
Car, nouvel aspect de la gourmandise des réalisateurs, le jeu avec les noms et, par-delà, la sensibilité au langage, donnant naissance à de truculents dialogues, ne sont pas les moindres des charmes de cette réalisation. Surviennent ainsi, dans le sillage du magicien, sa partenaire de scène, la volubile Amabilé (Valérie Mairesse), qui aura de quoi être ronchon. Suivra un autre duo, celui, réjouissant, formé par le sportif Monsieur Truducou (Cyril Couton), randonneur alpin sentencieux, flanqué de son chien Picasso (Olivier Saladin), une brave bête qui aurait tout pour être normale, si elle ne se retrouvait douée de parole, lâchant ses remarques sur le ton d’un Michel Houellebecq canin.
Beaucoup de ces personnages se voient singulièrement empêchés : le sympathique Popolo perd son emploi et tente désespérément de s’adapter aux exigences de la vie professionnelle ; et moderne… La chère Amabilé perd ses jambes, d’où ses glapissements. Le randonneur et son chien se retrouvent bloqués dans un ascenseur, contraints de bivouaquer dans deux mètres carrés suspendus, non contre une altière paroi rocheuse du Mont Chéri dont ils projetaient de réaliser l’ascension mais au cœur vertical d’un immeuble parisien. Leur position, centrale malgré eux, les amènera à côtoyer un autre grand empêché, un ogre à l’accent belge qui perdra toutes ses dents la veille de la Saint Festin, jour de réjouissance où les ogres dévorent un enfant. François Morel le campe superbement, mais fait aussi parler le dentiste qui restaurera au pauvre carnivore une denture magnifiquement acérée. Circulant inlassablement le long de l’escalier qui tournoie autour de l’ascenseur en panne, un inhibé absolu, le très touchant Monsieur Demy (Didier Gustin), à la timidité tellement délicate, à la réserve tellement attentionnée… Ne pas oublier Isabelle (Arielle Dombasle), danseuse de flamenco de son état, et bien ennuyée de ne savoir à qui confier ses deux petits garçons le soir de sa représentation. Enfin, pour compléter le bouquet des accents,
Rosa (Rosaria da Silva), aux belles mélodies de rocaille portugaise dans le gosier, et tombée en amour devant les frétillements du chien Picasso. Un point absolument commun à tous ces personnages : leur immense gentillesse, fondamentale. Oui, oui ! Même l’ogre !…
Une réalisation qui devrait être remboursée par la Sécurité Sociale, tant elle remet d’aplomb en ces temps de morosité covidienne ! Une bulle de légèreté pétillante et tendre qui redonne le sourire à ce début d’année…