Ouvrir les yeux dans l'obscurité ou les crever pour un ruisseau pourpré
Child's play dans son titre original (du boulot pour Guyness), Les yeux de Satan est un film d'ambiance, une réalisation de Lumet (Gloire et louanges) qui met en avant les personnages, les silences, l'image et la musique. Le cadre est celui d'un pensionnat britannique, dirigé par quelques hommes d'Église et secondé par quelques laïcs en tant que professeurs.
Par nostalgie autant que par commodité, Paul Reis, ancien élève, revient ici pour être professeur de sport. Il retrouve donc les couloirs lambrissés, la calme chapelle, les pupitres usés et quelques anciens visages aimés ou honnis, désormais des collègues. Tout pourrait se dérouler merveilleusement bien si jamais on n'avait pas assisté à une intro déjà passablement suffocante dans un dortoir où le vice semble déjà implanté, un sourire juvénile, une main couvrant la bouche, un peu de sang sur un front plissé.
On assiste à une dégringolade, une remise en cause de l'autorité, de la hiérarchie, les couloirs deviennent plus sombres, plus d'excès sont commis, et vous frissonnez dans votre chandail en laine, vous vérifiez une fois de plus que votre porte est bien fermée ... Car si l'autorité, la présence, le charisme du corps professoral ne suffit plus à retenir les élèves, si la menace d'une retenue ne fait pas se desserrer le poing blanchi, alors personne n'est à l'abri de cette horde, de cette multitude silencieuse, anonyme, des ombres animées par une volonté malsaine ...
Le spectateur est confronté à tout cela, à l'image des personnages il ressent ce léger malaise, comme eux il commence à émettre en son être des hypothèses étranges, il se demande où tout cela va le mener, il questionne les personnages, est sous le joug de cette musique, s'horrifie et s'inquiète.
Les yeux de Satan c'est aussi la confrontation entre trois figures centrales : Jerome Malley, le professeur de latin, s'occupe des dernières années, figure de l'autorité, de l'opposition au laxisme; Joseph Dobbs professeur d'anglais, tolérant et gouailleur, tente de mêler respect et amitié avec ses élèves; et enfin le sympathique Paul Reis encore un peu gauche, impressionné par leur présence, que l'on va suivre essentiellement, sorte d'arbitre plus que d'enquêteur. En effet ces incidents vont avoir des répercussions, on aura de la paranoïa, des mauvais traitements, des menaces, de la mise en scène et de dramatiques conséquences ...
Le scénario est simple, mais évite tous les écueils du cinéma "bête" d'horreur, restant dans le frisson, évitant le trash, il s'ancre dans un cadre soigneusement construit et qui apparait donc beaucoup plus réaliste, permettant cette merveilleuse peur irrationnelle, incontrôlable puisque aucun argument ne peut venir la contrer : levitant au dessus d'un contexte réaliste, mais sans aucune prises du réel pour pouvoir l'arrêter.
Non vous ne tremblerez pas.
Non vous ne vous cacherez pas sous votre couverture.
Ce n'est pas l'objet du film, celui-ci veut juste vous obliger à vous saisir de votre poignet par instant, à regarder autour de vous tout en ayant une grimace nerveuse, à vous pétrifier dans quelques scènes, par exemple en vous DEMANDANT POURQUOI EST-CE QU'IL EST SORTI DE LA SALLE DES PROFS CE GRAND MALADE ET POURQUOI EST-CE QU'IL MONTE CET ESCALIER CE MASOCHISTE FINI.
Les acteurs sont tous à la hauteur, la tension est merveilleusement entretenue bien que certains mesquins critiqueront un léger problème de rythme, un scénario qui aujourd'hui semble peut-être manquer d'originalité mais dont le souffle malicieux vous fait perdre le votre, assurément un merveilleux jeux d'enfant ...