La sélection officielle de ce Festival de Cannes 2018 nous dévoile Leto de Kirill Serebrennikov, un film qui transpire le rock et sa furie. D’un point de vue plastique c’est un délice esthétique, doté d’un noir et blanc majestueux malgré quelques effets un peu cheaps. Politique, engagé et miraculeusement profond, Leto reste malgré tout trop concentré sur son visuel de papier glacé pour émouvoir et emporter totalement.


Leto est aux antipodes de ce que l’on pourrait imaginer du cinéma russe, un cinéma austère, froid voire déshumanisé. Là, la jeunesse, la folie furieuse d’en découdre avec les conventions, cette volonté de faire suinter les amplis ou même de faire dandiner le pied de jeunes filles en fleurs, fait de Leto une œuvre qui casse l’image qu’on aurait pu lui prêter. Oui, le cinéma russe n’est pas qu’un art de la sinistrose et de la tension sociale.


Même si Leto garde un aspect social pertinent qui n’idéalise pas la vie d’un rockeur (pauvre salaire de gardien) ; tout en cultivant son discours engagé politiquement dans un contexte qui voit ces groupes de rock grandir pendant la guerre froide, période où l’ennemi américain (et notamment sa musique) était extrêmement mal vu, le cinéaste sort les enceintes du carton et fait chanter ses personnages à tue-tête durant presque 2h de film. À la lisière du film de bandes, de la comédie musicale et du récit initiatique, Leto est un mélange des genres assez opportun, joyeux et gentiment punk qui manie parfaitement sa capacité à rassembler autour de lui. Il est difficile de ne pas penser notamment à Control d’Anton Corbijn : soit à cause de la présence de ce magnifique noir et blanc, soit par ce thème musical représentant l’évolution et la maturation d’un groupe de rock.


Derrière cette joie communicative, cette photographie incroyable, cette mise en scène de l’ensemble aux chorégraphies esthétiques dynamiques, Leto n’est pas un film à l’espérance outrageante et sans limite. Le personnage de Mike, rockeur en déclin, bien rangé dans sa famille un poil miséreuse avec Natasha, va voir en un nouveau venu, Viktor, la possibilité de transmettre une flamme qu’il n’a plus. Si quelques effets cheaps et adolescents viennent un peu désamorcer la puissance vivifiante de Leto, Kirill Serebrennikov crée en Mike un magnifique personnage, d’une sagesse à fleur de peau, d’un recul assez représentatif d’une époque et aussi et surtout, d’une tristesse tout en retenue.


Avec ses lunettes sur le nez, ses longs cheveux et une classe que l’on aperçoit au premier coup d’œil sur de grandes plages abandonnées, Mike est un spectre aussi pessimiste qu’attendrissant sur un mouvement rock moderne et mondialisé, un fantôme vivant mais qui ne ressent aucune aigreur à propos d’une jeunesse prête à écouter les conseils. Sous les joutes d’un dispositif de papier glacé, Leto a parfois du mal à trouver l’émotion, a des difficultés à rendre audible son trio d’amoureux qui ne sait pas sur quel pied danser et qui s’avère slalomer entre le respect mutuel et la responsabilité de famille. Et même si le film est un coup de pied dans la fourmilière, que son brulot célèbre la liberté de création et d’être dans un pays qui demande à ce que l’on chante à sa gloire, Leto sait très bien que chaque chose a un prix, et que des sacrifices sont inévitables pour pouvoir continuer à jouer de la gratte.


C’est ce qu’il y a de plus beau dans Leto, au-delà de la mise en scène de la musique : cette amitié entre Viktor et Mike, chacun représentant une manière d’appréhender la musique et le métier de musicien, s’affranchir des cases et des conventions ou s’accepter et comprendre la musique différemment. Les failles sont visibles, mais nous ne sommes pas obligés de les écouter. Comme dans un album de rock, il existe parfois de mauvaises chansons. Avec Leto, on retiendra les tubes et les morceaux plus intimistes, nombreux et qui font briller de mille feux les accords de ce festin rock’n’roll.


Article cannois pour LeMagduciné

Velvetman
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le 3 déc. 2018

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