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Première réalisation de Kinuyo Tanaka qui fut longtemps l'égérie, pour ne pas dire la muse, de Kenji Mizoguchi. Pourtant ce dernier fut loin de la soutenir à passer derrière la caméra et lui mit même plusieurs bâtons dans les roues pour empêcher sa carrière de cinéaste de continuer (et ne lui confia presque plus de rôle dans ses films). Par chance, d'autres de ses confrères l'aidèrent comme Mikio Naruse qui en fit son assistante sur Frère et soeur et Keisuke Kinoshita qui lui écrivit son scénario (son second film fut également scénarisé par Yasujiro Ozu.
De plus on trouve en générique plusieurs guest-stars plus ou moins long comme Chisu Ryu qui fait vraiment de la figuration pour quelques secondes. Kinuyo Tanaka joue elle-même un petit rôle qui n'est pas sans avoir quelques échos autobiographiques (en évoquant son âge et quelques polémiques sur sa carrière).


Tout ça n'est pas très important au final. Ce qui compte, c'est que Lettre d'amour est un très bon film, très audacieux pour l'époque. En effet, en 1953 les Etats-Unis lèvent la censure qu'il imposait sur la production cinématographique et Tanaka en profite pour faire un film social, tournant en majeure partie en décors naturelles, directement dans les rues, captant un Japon encore en convalescence. Naruse ira bien-sûr plus loin avec Nuages flottants mais on peut se demander si son ancienne assistante ne l'aura pas inspiré en retour d'autant qu'il embauche le même acteur, Masayuki Mori.


Tanaka a en tout cas un vrai regard de cinéaste et sait avec talent intégrer ses personnages dans l'environnement et le décor, permettant de valoriser de nombreuses séquences : la dispute près d'une immense arche en bois, la conversation sur le bord d'une rive séparant, les petites ruelles commerçantes, l'héroïne en pleure contre un grillage délimitant des immeubles en construction (avec un effet de lumières expressionniste sur des phares de voiture éclairant son visage). La plus jolie scène met en scène les retrouvailles dans un métro surpeuplé qui introduit un flash-back avec une double idée géniale de réalisation : la caméra dans le wagon qui laisse les deux protagonistes à quai avant que les fenêtres ne permettent d'enchaîner les images du passé.
Le film ne cherche pas à être un mélodrame et on peut même regretter que l'approche un peu distante et pudique annihile un peu l'émotion mais ca vient en partie du choix scénaristique de mettre en avant Masayuki Mori dont la psychologie est très complexe, à la fois profondément amoureux mais écœuré d'avoir survécu à la guerre et dégouté par la prostitution des japonaises envers les américains, renforcé par l'occidentalisation des mœurs. Le script possède à ce titre de nombreuses idées originales qui ancrent parfaitement le film dans son époque : la collocation presque obligée, les lettres en anglais pour soutirer un peu d'argent aux GI's, la spéculation sur les revues américaines... C'est de plus très bien intégré au récit, comme les costumes du héros qui retranscrivent très bien son humeur (la cravate mal nouée, le col de chemise trop serré, un kimono remplaçant son costume de ville).


Ca n'a pas la force émotionnelle de Mère éternelle mais la maitrise de la réalisation, la qualité de son interprétation et son scénario dénué de manichéisme en font un très beau film, surtout pour une première réalisation.

anthonyplu
7
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le 19 nov. 2016

Critique lue 705 fois

8 j'aime

anthonyplu

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