Je reparlais il y a peu dans une critique du problème du "passage marquant." Ce moment où un passage d'une oeuvre devient tellement célèbre qu'on a tendance à occulter tout le reste : la scène dans la douche de Psychose, la fin de King Kong, etc...
Je viens d'avoir un cas d'école (littéralement) avec Lettre de Sibérie un documentaire de Chris Marker de 1958. Il s'y trouve un passage d'1 minute 31 dans lequel il reprend trois fois le même montage et en propose une voix-off différente qui change totalement le propos. Montré abondamment dans les cours de cinéma afin de montrer "la puissance de la voix off" ainsi que la façon dont on peut manipuler les images, tout le monde à oublié qu'il y avait un film de 60 minutes autour : la page wikipédia (avant que je ne la remodifie un peu pour y mettre un synopsis) ne parlait QUE de ce passage de quelques minutes, les deux tiers des critiques sur Sens Critique racontent abondement la scène et j'ai eu de la peine à trouver le film en entier, tant Google ne me proposait que des passages du fameux extrait.
Et pourtant, le film entier est cool : Je m'attendais à m'ennuyer devant un documentaire un peu suranné, mais Chris Marker, en voulant se démarquer du "Docu à la papa" décide de faire péter un peu le format : les passages passent du coq à l'âne, on y trouve un dessin animé sur les mammouths, une parodie de publicité qui vante les mérites d'acheter un renne, une comparaison entre la sibérie et le far-west, etc... De plus, le ton de Marker est très littéraire et s'accompagne bien de la voix de Georges Rouquier, ce qui n'est pas pour me déplaire : on trouve de belles phrases, des remarques subjectives et des marques d'ironies sur la conditions des ours ou des femmes.
Alors, oui, ça ne rend que Lettre de Sibérie plus daté, que ce soit dans son grain ou sa façon de faire et beaucoup des informations qu'il nous apporte sont relativement désuettes. Après, cela marque avec un certains charmes non seulement la façon dont la Sibérie était il y a 60 ans , la façon dont on pouvait la filmer à l'époque et la façon dont on pouvait la raconter. D'autres passages, créé par Marker étaient peut-être malines à l'époque (comparer des grues de chantier à des robots) mais font un peu "déjà vu" maintenant. Si j'ai trouvé certains passages géniaux, il m'est arrivé plusieurs fois de décrocher sur d'autres ou de laisser voguer mon imagination. Le film est court et c'est à son avantage.
Après La Jetée, mon intérêt pour Chris Marker ne fait qu'augmenter. En même temps, Marker est un cinéaste de la voix off... artifice que j'utilise personnellement beaucoup dans mes propres productions. Difficile que ça me déplaise.