Détour, aujourd’hui, par un monde étrange et désolé. Celui imaginé par Konstantin Lopouchanski, cinéaste (alors) soviétique qui, dans les dernières années de l’URSS, réalisa deux films des plus intrigants et singuliers : Lettres d’un homme mort (1986) et Le visiteur du musée (1989). Intéressons-nous d’abord au premier, un véritable plongeon dans un enfer fait de flammes et de désespoir.


Il est certain que le titre peu engageant du film, Lettres d’un homme mort, ne laisse pas présager un film empli de joie et d’espoir. Il faut dire que quarante années de Guerre Froide ont durablement marqué tout un pays, laissant le peuple en proie au doute et aux pires craintes concernant son avenir. Un avenir que Konstantin Lopouchanski vient ici décrire de son propre point de vue, celui d’un artiste qui a peur pour le futur de l’humanité. Le monde est dévasté, les êtres humains s’enterrent, l’air est devenu irrespirable, irrémédiablement pollué par des radiations qui sont, sûrement, le fruit d’une immense catastrophe nucléaire. Dans ce monde quasiment dépourvu de vie, où des bribes de société et de civilisation tentent de subsister, seule la survie importe, et elle ne tient souvent qu’à un fil.


Le héros du film écrit à son fils. Nul ne sait s’il est encore vivant ou non. Nous ne savons d’ailleurs pas grand chose des personnages que nous rencontrons. Nous sommes là, comme eux, à assister, impuissants, à l’effondrement du monde, à méditer, à réfléchir. L’holocauste nucléaire était, sans aucun doute, une grande peur à l’époque, et la raison la plus probable d’une éventuelle fin du monde, provoquée par le dépassement de l’Homme par ses propres armes et technologies. L’univers proposé par Konstantin Lopouchanski dans Lettres d’un homme mort fait froid dans le dos, celui-ci ne proposant presque aucune issue, plongeant le spectateur dans une sorte de crépuscule figé et fatal. Car, au-delà de l’histoire proposée, il s’agit avant tout d’un film qui propose une expérience singulière.


En effet, la puissance de Lettres d’un homme mort réside principalement dans son esthétique, inhabituelle mais définitivement appropriée au contexte dans lequel déroule l’histoire, et à ce que veut transmettre le cinéaste. Il convient, déjà, de souligner le fait que Konstantin Lopouchanski fut stagiaire lors du tournage de Stalker, d’Andreï Tarkovski. Chez ce dernier, il était déjà question d’une catastrophe mondiale, et de réflexions sur l’humanité. On retrouve, également, cette couleur jaune-orangé qui recouvre tout le métrage, rappelant les premières minutes du film d’Andreï Tarkovski, comme pour plonger l’image dans une forme de torpeur, l’irradiant d’une lumière enflammée. Mais les similitudes entre les deux films sont plus diffuses, l’ombre du film de Tarkovski planant toujours sur le film de son élève, sans que celui-ci n’en soit un simple dérivé. Le discours de Lopouchanski est, de manière générale, bien plus pessimiste, questionnant la nature de la fin de l’humanité et, par extension, son origine et son essence.


Il est difficile de décrire un film aussi particulier que Lettres d’un homme mort, qui offre, comme dit précédemment, avant tout une expérience déstabilisante et singulière. La fin du monde a connu de nombreuses représentations au cinéma, mais celle proposée par Konstantin Lopouchanski offre un âpre goût de réalité, la rendant presque palpable. Sinistre et triste coïncidence, un seul mois après le film eut lieu la catastrophe de Tchernobyl, associant à la peur qui alimenta la production du film une dimension hélas prophétique. Un film bien peu connu qui ne laisse cependant pas indifférent, bien au contraire, et qui prépare le terrain au futur Visiteur du musée, qui offrira, à son tour, une expérience des plus troublantes.


Critique écrite pour A la rencontre du Septième Art

JKDZ29
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le 24 avr. 2020

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