Habitués à co-réalisés leurs films, les jumeaux Ludovic et Zoran Boukherma nous offrent avec ce (très) long-métrage un film profond, dur et bouleversant, inspiré librement du roman éponyme de Nicolas Mathieu, prix Goncourt 2018 pour ce livre.
Situé intégralement dans la vallée imaginaire de Heillange (on pense à Hayange en Moselle) et ses alentours, durement touchée par la crise de la sidérurgie, ce film met en scène, pendant quatre étés des années 90 (92, 94, 96 et 98 jusqu'à la victoire des Bleus), l'histoire d'une famille modeste avec Anthony leur fils adolescent, entre espoirs, désillusions et occasions manquées.
Si l'amour y est présent à chaque seconde, on y ressent les contrariétés et la misère de cette époque, dans une Lorraine quasiment en "soins palliatifs", avec les images sinistres et frappantes de ses hauts fourneaux à l'arrêt.
Dans ce monde qui ne donne pas envie, les adolescents désœuvrés en cet été 90 vont de fête en fête, Anthony y tombant fou amoureux, sans savoir l'exprimer, de la belle Steph, issue d'un milieu social bien supérieur au sien (il ne sait guère que lui dire : "tu es belle"). Mais le vol de la vieille moto de son père, qu'il utilise sans autorisation, va déclencher une tornade d'événements aux conséquences néfastes pour tous, impactant ses parents et attisant la haine des gens malintentionnés qu'il côtoie, dont le jeune Hacine, ce magrébin peu scrupuleux dont le père a travaillé avec le sien dans les usines métallurgiques !
Face à ces troubles et rebondissements d'un scénario anxiogène très bien construit, nous retrouvons nos deux tourtereaux, dans ce rythme des deux ans en juillet, devenir progressivement de jeunes adultes... Face à la vie qui passe et à ses incertitudes inéluctables, leur relation connait bien des hauts et des bas, ce qui génère une émotion et un suspens grandissants, d'autant que leurs parents se déchirent...
Par ses thèmes, ce film ne manque pas de faire penser au récent Amour OUF réalisé par Gilles Lellouche et que l'on voit ici devant la caméra (on peut penser qu'il aurait aimé réalisé ce film !) : la confrontation de couches sociales dans un contexte économique sinistré, la violence et la drogue, et une romance difficile et chahutée entre deux jeunes de milieux différents ! Les fils narratifs des deux films sont heureusement bien différents, ainsi que la fin, chacun aura son ressenti à ce sujet.
Associée à une image vintage et au grain contrasté, une des beautés du film réside aussi dans l'excellente musique de ces époques, crée et orchestrée par le compositeur Amaury Chabauty, avec des mélodies notamment de Nirvana, Jean-Jacques Goldman et Johnny Halliday.
Mais bien évidemment, comme dans tout film réussi, c'est le choix des acteurs et leur performance qui fait beaucoup :
- Tout d'abord le très jeune Paul Kirchner, révélé dans Le Lycéen de Christophe Honoré, dans un très grand rôle bien maîtrisé, avec les parfaites attitudes de l'adolescent et la force de ses non-dits;
- La non moins jeune Angelina Woreth, dans le rôle propre voire trop lisse d'une Steph amoureuse certes, mais pensant à son avenir; son empreinte sur le film est nettement moins forte que celle de Paul;
- Sayyid El Alami, incarnant avec une belle présence le personnage essentiel, difficile et ingrat de Hacine;
- Ludivine Sagnier, jouant la mère de Paul, affichant une chaleur et une profondeur des sentiments remarquables, y compris dans les relations compliquées avec son mari;
- Gilles Lellouche, interprétant à la perfection ce rôle très difficile du père à la dérive et aimant son fils de manière inconditionnelle.
Malgré sa très longue durée, ce film tient en haleine le spectateur du début à la fin, dans une ambiance intense, dramatique et déchirante. Encore un très grand film français en cette année 2024, profitons-en !