Mâles de mer
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le 10 févr. 2014
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Lucien Castaing Taylor et Verena Paravel, deux artistes et anthropologues du laboratoire d’ethnographie sensorielle d’Harvard, ont abordé ce projet dans l’intention de faire un documentaire sur le port de New Bedford, point de départ de l’aventure d’Ismaël dans Moby Dick. Pourtant, assez tôt, ils prennent la mer, invités par un équipage, et leur projet va devenir une tentative de « traduction esthétique des sensations ressenties lors d’une pêche en mer. »
Dès l’extinction des lumières, le spectateur est plongé dans un univers sonore déroutant où se mêlent bruits de vagues, ronronnement de moteur et autres sons inidentifiables, alors qu’à l’écran, le noir est interrompu par l’éclat de quelques lumières sans que l’on puisse distinguer clairement quoi que ce soit. Puis un brusque changement de point de vue s’effectue et la caméra se retrouve accrochée au bras d’un marin qui remonte un filet. Filmé de nuit en basse définition, la compréhension de l’image est tributaire de la lampe frontale qui éclaire les actions du marin remontant un filet. L’immersion est immédiate, profonde et brutale.
A l’image de son ouverture, Léviathan est un film trouble et brut qui nous plonge sans concession dans le monde de la pêche en haute mer. Ovni cinématographique, c’est un film sans narration, mise en scène ni repère ; filmé sans intentionnalité, le film est une succession de plans aussi bruts qu’étranges. Les caméras (des GoPros, petites caméras imperméables et accrochables partout) semblent livrées au bon vouloir de la nature, tantôt attachées au filet dragué par le bateau ou encore posées à même le sol, dans un bac où les cadavres de poissons vont et viennent, se cognant contre l’objectif au gré du tangage.
Servi par une esthétique aussi puissante qu’inhabituelle, le film transporte le spectateur dans un univers à part, entre ciel et mer, où plans aériens et sous-marins s’enchainent et se superposent sur une bande son immersive faite à partir des extraits audio des caméras GoPros remixés et amplifiés. Documentaire sur la pêche industrielle, il évite le travers de la dénonciation facile sur fond d’images chocs tout en parvenant à démontrer la violence du processus à travers des plans calmes, répétitifs de pécheurs, exténués par la dureté du métier, qui découpent les poissons machinalement comme par reflexe.
On pourra reprocher au film quelques longueurs comme un plan fixe de cinq minutes sur le capitaine qui, regardant la télévision, se laisse aller à s’endormir. Mais ces quelques moments de répit sont bienvenus dans ce film qui est très inconfortable :
La caméra suit le tangage du bateau et donne parfois le mal de mer, la bande son est forte et agressive, de nombreux plans restent mystérieux et incompréhensible… Pourtant, le résultat final est d’un tel esthétisme et d’un tel onirisme que l’expérience en vaut la peine !
Pas vraiment documentaire, pas vraiment fiction ; Léviathan est un film déroutant et passionnant, tenant d’avantage de l’expérience sensorielle ou de la performance artistique que du cinéma. Et malgré l’inconfort procuré par le film, on ne peut qu’être conquis par l’esthétique formelle du montage final.
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Créée
le 3 févr. 2013
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