Avec une inspiration assumée du cinéma de Vinterberg, Katrin Gebbe reprend pour son premier film le postulat cinématographique de la Chasse, ce dernier étant celui d’un réalisateur manipulateur qui cherche à créer un malaise chez le spectateur en le repoussant dans la frustration de sa passivité face à la violence infligée au(x) personnage(s).
Tore, un jeune adulte orphelin et adepte des « Jesus-Freaks », un groupe de punk chrétien, se retrouve suite à une crise d’épilepsie persuadé d’être une réincarnation du Messie. Recueilli par Benno un père de famille au premier abord aimant, il découvre vite que ce dernier est intrinsèquement mauvais et lui inflige une série de sévices insoutenables et n’est pas bien plus affectif avec Sanny, sa belle-fille adolescente. Tore s’imagine alors qu’il s’agit d’une mission divine et qu’il est confronté à une passion du christ. Celle-ci passera par sa passion amoureuse avec Sanny qu’il décide de sauver de cet enfer terrestre par son sacrifice christique.
Le spectateur est donc témoin d’une gradation de la violence de Benno, rejoint par sa femme et ses voisins, à l’intention de Tore qui subit, atavique.
Or, si la représentation du délitement progressif du microcosme utopique du village, dans la première partie de la Chasse, faisait preuve d’une relative finesse ; force est de constater que dans le film de Gebbe, la réalisatrice se contente d’apposer deux représentations extrêmes du Bien et Mal sans la moindre nuance.
Cette opposition inéluctable est marquée dès le début du film à même la peau des protagonistes, tatoués respectivement d’un « Teach me Lord » et d’une tête de démon. Benno ne devient donc pas mauvais il l’est par essence ; de même pour sa femme qui passe en l’espace d’une minute de mère aimante en tortionnaire. Même l’amour naissant entre Tore et Sanny ne semble n’être qu’un prétexte pour renforcer la candeur et l’innocence de ce « néo-christ » (il est maladroit, gêné, refuse le sexe avant le mariage…) Ce dernier se contente de « tendre l’autre joue » dans une passivité littéralement insupportable.
Pourtant doté d’un jeu d’acteur correct et d’une mise en scène bien maîtrisée dans la mise en place d’un enfer sur terre où la maison et le jardin de la famille font office d’huis-clos rarement brisé, le film a donc pour principal problème cette fixation d’absolus dépourvus d’évolutions. Cela conduit alors à un enchainement de scènes d’humiliations physiques et psychologiques toutes plus dérangeantes une que les autres, qui traduisent une volonté jusqu’auboutiste de la part de la réalisatrice dans la création d’un malaise chez le spectateur. Le garçon se voit alors forcé de se prostituer, la fille violée par son beau-père ; le morbide est poussé à l’extrême mais l’aspect fataliste et figé du combat Bien/Mal empêche tout autre sentiment qu’un profond et inutile malaise face à l’inaction de Tore.
Si le cinéma doit savoir jouer avec les émotions du spectateur, Gebbe se fourvoie en signant un film monolithique et lourd qui use de toutes les ficelles pour créer une atmosphère irrespirable et échoue dans sa volonté de modernisation de la passion du christ en étouffant tout sentiment d’espoir ou d’amour sous la chape de plomb de la violence amplifiée à l’extrême.